MONOPOLY POLITIQUE

L’HISTOIRE CROISÉE DE LA BELGIQUE ET DE L’ALGÉRIE.

Curieuse histoire ! Et pourtant c’est bien parce que la France abandonne ses prétentions sur les territoires entre ses frontières et le royaume des Pays-Bas que la France va mettre le pied en Afrique du Nord. Voici comment.

Un homme va jouer un rôle important dans cette aventure intercontinentale, le fameux Talleyrand ; Charles Maurice de Talleyrand-Périgord. Homme d’exception, intriguant mais fin diplomate, il a traversé toutes les périodes troublées de notre histoire, de la Révolution à Louis Philippe en traînant sa jambe mais en mettant sa clairvoyance au service de la France. Le «  Prince des diplomates » va faire un dernier « coup » pour son pays malgré ses 76 ans.

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La Belgique connaît des soubresauts de politique interne. Lutte linguistique entre communautés qui parlent trois langues officielles, le français, le néerlandais et l’allemand. Dès le départ, la complexité de ce territoire fera dire à Talleyrand que ce pays n’aura pas un grand avenir et sera invivable. Alors pourquoi la création d’un nouvel Etat ; la Belgique.

Quelques lignes sur le passé :

Le territoire de l’actuelle Belgique a été gaulois, romanisé, puis soumis par les Francs. Au XV° s. les Bourguignons mettent la main sur cette région qui passe ensuite aux Habsbourg en 1477. Puis ce fut le tour des Espagnols par un jeu d’héritage. Anglais, Néerlandais, Allemands et Français se disputèrent régulièrement ce territoire. La Révolution française, à partir de 1795, puis le Premier Empire, l’annexent. Avec l’effondrement de l’Empire, en 1814, il devient à nouveau une raison de discorde.

Talleyrand avait depuis longtemps un projet en tête, installer durablement la France à Alger. Ceci pour plusieurs raisons : convaincu de la quasi impossibilité de nous étendre en Europe sans provoquer des conflits sans fin. Depuis 1801, sous le Consulat, il tourna ses yeux vers le sud de la Méditerranée. Car, dans son esprit, il fallait compenser la présence anglaise de Gibraltar. En 1801 donc, il commanda un mémoire sur les possibilités de « débarquement d’une armée de terre contre Alger ». Sept ans plus tard, il obtint de Napoléon, l’envoi d’une mission d’espionnage. Cette mission est connue sous le nom de celui qui fut chargé de cette reconnaissance, le chef de bataillon Vincent Yves Boutin qui s’embarque pour Alger en mai 1808. Trois mois plus tard, Boutin conclut qu’une possibilité de débarquement avec succès  se situait sur la plage de Sidi Ferruch. Ces travaux serviront en 1830 au débarquement des troupes françaises.

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Plan des environs d’Alger. Croquis fait par Boutin. Document Service historique de l’Armée.

Talleyrand voyait dans la future Algérie, un pays peu peuplé, facile d’accès par la mer, un territoire à mettre en valeur au profit de la France. Mais, pour cela, il fallait régler un différend entre Paris et Alger.

1793, l’Europe des rois tremble, la Révolution française inquiète. L’Europe va se coaliser contre la France et ses idées subversives. La disette est partout et il ne reste qu’un allié à la France ; le Dey d’Alger qui fournira le blé nécessaire à la France  par l’intermédiaire de la maison Bacri-Busnach, des commerçants juifs livournais ; ils livreront le blé durant sept ans à partir de 1792. Le blé de la discorde. Ce blé évalué à 14 millions sera réclamé par les neuf Deys qui se sont succédés pendant la période de 1792 à 1830. La Restauration fixa la dette à 7 millions en 1819. En 1827, rien n’est fait. Hussein III réclame le paiement à Louis XVIII, rien n’est fait.

Talleyrand va travailler à envenimer le différent entre Paris et Alger au sujet de cette dette. En 1815, sous la Restauration, à nouveau Ministre des Affaires étrangères, il nomme Pierre Deval, consul à Alger. Quelle était la mission de ce dernier ? Le fait est que Deval multiplie provocations et insolences envers le Dey. Écarté du pouvoir, Talleyrand n’en continua pas moins, dans l’ombre, ses intrigues à Alger. En 1827, Deval est toujours en place à Alger ; le 29 avril, il obtient enfin ce qu’il semblait attendre. A la suite d’une violente discussion, le Dey frappe Deval de trois coups de chasse-mouche. La marine française va faire le blocus d’Alger et le 14 juin 1830, les troupes françaises débarquent à Sidi Ferruch.

Les Européens sont d’abord favorables à une attaque militaire contre les barbaresques qui attaquent et rançonnent les navires de commerces, c’est la raison officielle de l’intervention française (en fait ces attaques sont de plus en plus rares) mais ils craignent aussi que la France retrouve une trop grande puissance militaire.

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Théodore Gudin  Combat d’un vaisseau français et de deux galères barbaresques.

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 Théodore Gudin  Attaque d’Alger par la mer 29 juin 1830.

Or, à la même époque, le 4 novembre 1830, s’ouvre la conférence de Londres avec l’Autriche, la Prusse, la Russie, la France, l’Angleterre et les Pays-Bas. Cette conférence doit régler le sort du territoire compris entre les Pays-Bas et la France. Deux propositions s’affrontent. La première veut un partage entre les Hollandais et les Français, la seconde consiste à créer un nouvel état.

On peut constater que l’habilité de Talleyrand est toujours intacte malgré ses 76 ans. Il a soutenu la révolution de juillet 1830 et l’accession au trône de Louis Philippe. Ce dernier, une fois au pouvoir, renvoie la balle en nommant le rusé boiteux, ambassadeur extraordinaire à Londres, pour participer aux négociations.

Revenons un instant sur l’année 1830. L’avènement de Louis Philippe est dû à un mouvement insurrectionnel, ce qui inquiète les cours européennes qui craignent la remise en cause de l’équilibre retrouvé grâce aux résultats du Congrès de Vienne de 1815. Crainte justifiée par la victoire de l’insurrection à Paris, Bruxelles se soulève à son tour contre le roi des Pays Bas. Les garnisons hollandaises doivent évacuer, la Belgique, partie méridionale d’un royaume établi en 1815, proclame son indépendance en octobre 1830 et un gouvernement provisoire est constitué. La Belgique, qui se tourne tout naturellement vers la France qui a donné le pouvoir à un roi libéral.

Louis Philippe veut éviter une nouvelle coalition contre la France ; le choix de Talleyrand comme négociateur est important car il est l’homme de la situation. De plus,  sa nomination est bien perçue à Londres ainsi qu’auprès des cours européennes. Dès le début de la conférence, Talleyrand rencontre le duc de Wellington avec lequel il s’accorde pour exclure tout recours à la force. C’est la première fois qu’apparaît le principe de non intervention, ce qui aboutit, par ce principe, à la reconnaissance du fait accompli.

 PROTOCOLE N° 1 DE LA CONFÉRENCE DE LONDRES DU 4 NOVEMBRE 1830

SUR LES AFFAIRES DE LA BELGIQUE

Présents : les PP. d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie ;

S.M. le roi des Pays-Bas, ayant invité les Cours d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, en leur qualité de Puissances signataires des Traités de Paris et de Vienne qui ont constitué le Royaume des Pays-Bas, à délibérer de concert avec S.M. sur les meilleurs moyens de mettre un terme aux troubles qui ont éclaté dans ses Etats ; et les Cours ci-dessus nommées ayant éprouvé, avant même d’avoir reçu cette invitation, un vif désir d’arrêter dans le plus bref délai possible le désordre et l’effusion de sang, ont concerté, par l’organe de leurs Ambassades et Ministres accrédités à la Cour de Londres, les délibérations suivantes :

1°) Aux termes du § 4 de leur protocole du 15 novembre 1818, elle ont invité l’Ambassadeur de S.M. le roi des Pays-Bas à se joindre à leurs délibérations.

2°) Pour accomplir leur résolution d’arrêter l’effusion du sang, elles ont été d’avis qu’une entière cessation d’hostilités devrait avoir lieu de part et d’autre.

Les conditions de cet armistice qui ne préjugeraient en rien les questions dont les cinq Cours auront à faciliter la solution, seraient telles qu’elles se trouvent indiquées ci-dessous.

De part et d’autre, les hostilités cesseront complètement. Les troupes respectives auront à se retirer respectivement derrière la ligne qui séparait, avant l’époque du 30 mai 1814, les possessions du Prince Souverain des Provinces-Unies, de celles qui ont été jointes à ce territoire pour former le Royaume des Pays-Bas, par ledit Traité de Paris et ceux de Vienne et de Paris de l’année 1815.

Les troupes respectives évacueront les places et territoires qu’elles occupent mutuellement au-delà de ladite ligne dans l’espace de dix jours.

La proposition de cet armistice sera faite au Gouvernement de S.M. le Roi des Pays-Bas par l’intermédiaire de son Ambassadeur, présent aux délibérations.

Les termes de ce même armistice seront communiqués en Belgique au nom des cinq Cours.

signé…

Talleyrand

Esterhazy

Aberdeen

Bülow

Matuszewic

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D’après le recueil des Traités de la France par M. Jules de Clerc édité par A. Durand et Pedone-Lauriel, éditeurs – Paris-1880

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Arrivée à Bruxelles des volontaires liégeois menés par Charles Rogier.

Le 4 novembre 1830, la Conférence de Londres se saisit donc du problème belge et impose un armistice aux Belges et aux Hollandais. Le 20 décembre, l’indépendance de la Belgique est reconnue et le 20 janvier 1831, la Conférence proclame la neutralité et l’inviolabilité perpétuelle de la Belgique. Malgré une ultime intervention militaire hollandaise en août 1831, repoussée par les Belges et l’armée française, le 15 novembre 1831, a lieu la signature du traité reconnaissant officiellement l’indépendance et la neutralité de la Belgique, par la France, l’Autriche, l’Angleterre, la Prusse et la Russie.

Tout semble terminé, mais le roi de Hollande reprend l’offensive militaire, bombarde et occupe la place forte d’Anvers. En accord avec l’Angleterre qui bloque les côtes avec sa flotte, l’armée française intervient et met fin à l’incursion hollandaise. Cette fois, l’affaire est bien terminée. Point positif ; la France et l’Angleterre en agissant conjointement et en toute confiance, ont jeté les bases d’une étroite coopération qui allait devenir « l’Entente Cordiale ».

Le 13 novembre 1834, Talleyrand démissionne et quitte définitivement la scène politique. Bien peu de Belges, de Français et d’Européens en général se souviennent aujourd’hui que Talleyrand est un des pères fondateurs de ce royaume de Belgique. Grand stratège politique, en échange de l’abandon des prétentions de la France sur le territoire belge, sur la Wallonie en fait, il obtint la reconnaissance tacite de la souveraineté française sur l’Algérie.

Ce royaume qui fait parler de lui parce que les différentes composantes de son peuple ne veulent plus cohabiter. Il faut souhaiter que la Belgique trouve un négociateur, un médiateur avec l’énergie et une vision d’avenir digne d’un Talleyrand.

 

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Le pauvre Tintin n’a plus de pays…