UN TUEUR EN SÉRIE À TOUROUZELLE

Nous sommes en 1682. La jeune Marie a disparu. S’est-elle un peu trop approchée de La Boulandière, le repère de Jean Granier, accusé de plusieurs meurtres ? Les villageois, excédés par les crimes et forfaits de ce personnage dangereux et amoral, réussiront-ils cette fois à le faire condamner ?  Marie sera-t’elle retrouvée vivante ? C’est sur les traces de ce tueur en série que nous allons maintenant faire un voyage dans le temps.

DSCF4166              La Boulandière de nos jours.

Une sombre histoire au pays des coquelicots, Tourouzelle, paisible petit village du Minervois qui a connu un drame autrefois, toujours dans les mémoires ce genre d’affaires qui marque les esprits pour très longtemps : les crimes en séries.

Des jeunes femmes du village disparaissaient, des hommes se faisaient tirer dessus, blessés et morts se comptaient par dizaines. Un lieu à ne pas fréquenter : La Corbière, c’est ainsi que l’on nommait La Boulandière autrefois.

1682. Tourouzelle vit paisiblement sa vie de tous les jours. Blotti entre plusieurs collines, le village semble à l’abri de toute menace au pied de son église fortifiée. Dans les temps plus anciens, Tourouzelle avait bien connu ses guerres, ses Sarrazins, ses brigands et ses disettes. Entre Sérame et Castelnau d’Aude, le Camp des Sarrazis rappelle qu’en 720, des combats entre Carolingiens et Musulmans y eurent lieu pour la défense de la vallée de l’Aude. Puis les passages incessants des bandes de pillards ; les Routiers en 1150, les Pastoureaux en 1251 et, en 1360, les Grandes Compagnies composées de soldats licenciés devenus brigands. Tout ce beau monde avait terrorisé la contrée. Tourouzelle se souvient également d’Édouard de Galles, dit le Prince Noir (à cause de son armure noire) qui au début de novembre 1355 brûla Puichéric et Homps, puis Pépieux et Azille, et passa par deux fois dans Tourouzelle. En 1590, les guerres de religion n’avaient pas épargné le village. Les Réformés s’en étant emparés, Henri de Joyeuse le leur repris.

Enfin, Tourouzelle vivait désormais tranquillement et les récoltes, même en années ordinaires, donnaient de quoi nourrir très largement toute la contrée. Le village qui comptait mille âmes, vivait dans le calme et la sérénité. Pourtant, un jour …

OÙ EST DONC PASSÉE LA JEUNE MARIE ?

Marie Dougada, une jeune fille d’une douzaine d’année, disparaît. Après une journée aux champs, elle ne rejoint pas ses parents. Le père rameute quelques voisins et part à sa recherche avant que la nuit n’arrive. Par petits groupes, les hommes partent en direction des champs du père. L’homme est inquiet, son visage brûlé par le soleil est soucieux. Un masque  cuivré que les sillons de la vie ont marqué de leurs empreintes. Rien. Il faut se rendre à l’évidence ; Marie a disparu … La nuit tombe. Il faut rentrer au village. La lumière cendrée de la lune perce par moment de gros nuages noirs et guide les hommes sur le chemin du retour. Qu’est-il arrivé à Marie ? Ce n’est pas la première fois qu’une jeune femme disparaît ainsi. Depuis plusieurs dizaines d’années, le dénommé Jean Granier tire sur les malheureux qui passent à proximité de ses terres. C’est sans doute lui aussi qui est à l’origine de la disparition mystérieuse de deux jeunes filles juives de la ferme de Gléou. Cette ancienne ferme où la communauté juive espagnole réside depuis son expulsion d’Espagne par Isabelle la Catholique. En 1646, Granier avait été condamné à mort par contumace pour le meurtre de Pierre Sire, un berger de Tourouzelle. Jamais appréhendé, il avait fui vers le Tarn où il avait des parents et sans doute aussi, protégé par son beau-frère, Monsieur de La Boulandière avec qui il partageait toutes les terres de La Corbière.

UN RÉCIDIVISTE ÉTRANGEMENT PROTÉGÉ.

En 1656, sur les registres des sommes dues au Roi, nous trouvons à la place de Granier et de La Boulandière, le nom de Viala qui était le mari de Jeanne Granier, la sœur du tueur. Monsieur Viala de Boissezon était un homme très riche et influent qui avait prêté de l’argent à la communauté de Tourouzelle. Il était aussi le frère de Louis Viala, sieur de La Caussade, capitaine de la compagnie bourgeoise de Boissezon, diocèse de Castres, et de Joseph Viala, lieutenant en la baronnie de Puichéric. Tous ces personnages influents semblent être des protecteurs bien en place dans la région. Jean Granier va de nouveau faire parler de lui.

En 1656, un nommé Sanjou, de La Redorte, qui, à la demande de Monsieur de La Valsèque, va chercher du blé dans le vallon de La Corbière, est pris à partie par deux individus armés de mousquets qui l’insultent et le somment de rebrousser chemin. Sur ces entrefaites, arrive Jean Granier qui répète les menaces. Sanjou qui l’avait reconnu, n’insiste pas et rebrousse chemin.

LA CORBIÈRE, UN LIEU MAUDIT.

La Corbière était devenue un repaire de bandits. Granier vivait bien là, dans la métairie de La Corbière, avec sa fille naturelle dont il a eu deux enfants, fruits de cet inceste. Durant une vingtaine d’années encore Jean Granier va tuer. Sur le registre paroissial, on peut lire : « En ce 1er may de l’an de grâce 1681, a été tué par Jean Granier, Antoine Delort de Peyriac en Minervois et enseveli dans le cimetière ». « 23 may 1681, décès d’Antoine Nobles des blessures reçues à La Corbière par Jean Granier ». Il avait également assassiné Montimart de Tourouzelle d’un coup de mousquet, estropié Paul Amalric alors qu’il ne faisait que passer sur le chemin. Il a aussi tiré sur les troupeaux, tuant deux chèvres à François Peissou. Un pauvre Espagnol qui passait par-là, lui ayant demandé l’aumône, fut abattu par Granier et sa fille puis enseveli à proximité de la métairie. Le passé de Granier justifie la crainte du père Dougada.

Le lendemain matin, dès l’aube, les hommes repartent à la recherche de la petite Marie. Le soleil n’était pas encore à son zénith quand soudain, du côté de la Bade, des cris s’élèvent. Un des groupes de recherche vient de découvrir la petite Marie … vivante. Tremblante de froid et de frayeur, elle fait le récit de son aventure. Les hommes la réconfortent et allument un petit feu. Marie éclate en sanglots quand son père arrive enfin. En fait, avant de rentrer à la maison, elle ramassait du petit bois pour allumer la cheminée quand soudain surgit Granier. D’une voix forte, il hurle vers la jeune fille des menaces et des insultes, puis la roue de coups. À un moment Marie réussit à lui échapper, elle s’éloigne le plus vite possible de ce monstre qui la met en joue avec son mousquet. Le coup part mais rate la petite Marie. Épuisée par l’effort, paralysée par la peur, la jeune fille se cache dans les broussailles de la garrigue et la nuit la surprend. Elle est restée là, seule avec sa peur dans l’obscurité froide de cette nuit d’automne.

LE TUEUR SE VOLATILISE.

Maintenant, dans les bras du père Dougada, elle se sent rassurée. Tous repartent au village pour apporter la bonne nouvelle. En cours de route, les hommes discutent. Cette fois, Granier est allé trop loin, il faut faire quelque chose.

Une supplique est adressée au Roi qui fera intervenir les archers de Saint-Pons. Le terme d’archer était encore utilisé à ce moment-là ; c’est en fait la maréchaussée qui va mettre un point final à cette tragédie de quarante ans. Une vingtaine de gens d’armes avait fait le déplacement de Saint-Pons à Tourouzelle. Aidés par quelques villageois, ils encerclent la demeure de Granier, pénètrent dans la bâtisse … Elle est vide ; personne, ni femme, ni enfants, ni complices, rien. La troupe se déplace alors vers la bastide de La Boulandière, mais n’y trouve rien. Jean Granier a disparu et personne n’entendra plus parler de lui.

 

Sources :

– Bibliothèque Conseil Général de l’Aude

– Archives du registre paroissial