LES AUMÔNIERS MILITAIRES

De Verdun à Dien Bien Phu et aux Terres Australes

Un peu d’histoire pour démarrer.

D’où vient cette terminologie ? Un aumônier, en latin ecclésiatique «elemosinarius», mot peu utilisé car difficilement prononçable, c’est étymologiquement celui qui distribue les aumônes (elemosina). L’aumônier est la personne, dans les siècles passés, à laquelle un seigneur déléguait le soin de distribuer des dons aux pauvres, souvent il s’agissait d’un prêtre, de son chapelain par exemple.

En France, sous Charles VII, est créée la fonction de grand aumônier de France que le Roi désignait pour assurer ce service caritatif. Rapidement, le personnage officiel reçut d’autres fonctions comme d’instruire les causes où pouvait s’exercer la grâce royale, il pouvait également nommer les chapelains des autres résidences royales ou des régiments de sa Majesté. Pour cette dernière raison, on appela parfois ce grand aumônier de France, évêque des Armées.

Supprimé à la Révolution française de 1789, le poste fut recréé sous le Premier Empire et va disparaitre en 1870. Une chose est à noter, les documents officiels de l’Église latine qui précisent les différents ministères dans l’Église, ne connaissent pas le terme d’aumônier, sauf de fait en France. C’est sous le terme de « capelanus » (chapelain) que l’Église désigne l’aumônier.

Il semblerait que la religion s’est très rapidement imposée dans les armées de la « fille aînée de l’Église ». Le plus ancien aumônier militaire connu, est Sulpice le Pieux, archidiacre de Bourges, appelé par Clotaire II (584-629), roi des Francs, pour servir d’abbé dans le camp militaire royal.  Il avait pour mission de garder le manteau de Saint-Martin, d’où l’appellation de chapelain, « celui qui garde la chape ».

Lors de son instauration par François 1er, en 1543, la Grande Aumônerie de France doit se consacrer au service de la chapelle du Roi. Pour la Marine, il est attesté en 1270 que de nombreux chapelains ont accompagné le Roi Louis IX lors de sa dernière croisade. En 1619, un poste d’aumônier général des galères est créé. L’armée de l’air n’obtiendra son aumônerie qu’en 1939.

Le service religieux au sein des armées a donc des antécédents historiques très forts. L’aumônerie catholique étant historiquement la première, elle va perdre son monopole quand le catholicisme devient « religion de la majorité des Français » au lieu de « religion d’État » (Concordat de 1802). L’aumônerie protestante y fait son entrée avec la guerre de Crimée (1853-1858), une dizaine de pasteurs se joignent au Corps expéditionnaire français en 1854. En 1859, le Ministre de la guerre établit les mêmes droits et prérogatives pour les aumôniers protestants et catholiques. Au 19ème siècle, cette égalité s’étendra également au judaïsme. Plus récemment, en 2006, l’islam est reconnu aumônerie.

Les premiers insignes de fonction apparaissent dès 1853 pour les aumôniers catholiques de la Flotte, puis cette pratique va s’étendre aux autres cultes.

Aumônier catholique

Aumônier protestant

Aumônier israélite

Aumônier musulman

La loi du 9 décembre 1905 de la séparation de l’Église et de l’État, rattache définitivement le budget des aumôneries au Ministère de la guerre. D’évolution en évolution, de décrets en arrêtés, depuis le 16 mars 2005, un traitement égal pour toutes les aumôneries. Depuis 2005, les aumôniers souscrivent au service de santé des armées. Depuis le 2 janvier 2012, tous ont été rattachés au Commissariat des Armées. Auparavant sans grade, ils sont dotés par le décret de 2005 de celui d’aumônier militaire, ayant rang d’officier.

Rôle des aumôniers militaires

La priorité des aumôniers militaires est l’accompagnement spirituel des forces armées en garnison et sur les théâtres d’opérations. Ils étaient présent, au combien, lors de la Grande guerre, la Seconde guerre mondiale, l’Indochine, l’Algérie. Depuis plusieurs années, nos aumôniers sont également projetés en opérations extérieures aux côtés des combattants. Certains sont devenus célèbres par leur courage et par leur abnégation. Croyants et mécréants ont un immense respect pour ces hommes d’église qui vont chercher un blessé sous le feu de l’ennemi, soutenir un mourant dans ses derniers instants, encourager les autres …

« Au service de la France et des âmes de ses soldats, les aumôniers militaires offrent à ces derniers une présence de gratuité, un soutien hors hiérarchie, au-delà de toute finalité opérationnelle ».

Lors de la Première guerre mondiale

Daniel BROTTIER (1876-1936)

Le 8 août 1914, à 36 ans, il s’inscrit comme candidat pour être aumônier volontaire. Il restera au front jusqu’à la fin de la guerre. De tous les combats, il n’hésitait pas de courir en avant des troupes, de récupérer un camarade blessé. Chaque fois qu’il le pouvait, il célébrait une messe. Il disait que le rôle de l’aumônier, d’infanterie surtout, requiert, s’il veut être à la hauteur de sa tâche, une abnégation et une bravoure surhumaine, une force physique au-dessus de la moyenne. Verdun, la Somme… rester des jours et des nuits dans un trou d’obus, sous les bombardements. « Ce n’est pas par des phrases que l’on gagne les autres, mais bien par des actes ».

Il aura la croix de guerre 14/18 avec 6 citations dont 3 palmes et sera fait officier de la Légion d’Honneur.

Après la guerre, il continuera son œuvre pour les orphelins, tout particulièrement au sein des “Orphelins – Apprentis d’Auteuil”, mais aussi pour les anciens combattants. Il sera le second spiritain béatifié le 25 novembre 1984 par le pape Jean-Paul II.

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Lors de la Seconde guerre mondiale

François BIGO (1912-1944)

Ordonné prêtre le 2 juillet 1939, il est mobilisé au 1er régiment d’infanterie et fait campagne en Belgique. Il est grièvement blessé lors de l’évacuation de Dunkerque, rejoint l’Angleterre où il est opéré. Aussitôt sur pieds, il s’engage dans les Forces Françaises Libres comme aumônier.

Capitaine aumônier des Cadets de la France Libre à Malvern, il demande à être affecte à une unité combattante. Il rejoindra la 1ière DFL à l’été 1943, à Zuara, en Tripolitaine. Au sein de la 2ème BFL, le 17 février 1944, il prend part à la campagne d’Italie et notamment à l’attaque du Garigliano où il se dépense sans compter pour donner les premiers soins aux blessés en première ligne, quelle que soit leur foi ou leur nationalité. Le père Bigo est décoré le 30 juin 1944, de la Croix de la Libération par le général de Gaulle. Il participe ensuite au débarquement de Provence, à la prise de Toulon, la remontée du Rhône jusqu’à Belfort.

Le 2 octobre 1944, à l’attaque de Ronchamp en Haute-Saône, il se porte volontaire pour aller donner l’absolution à un tirailleur mortellement blessé, entre les lignes. Il est fait prisonnier par les Allemands et, malgré la Croix portée en évidence sur sa poitrine, ses insignes et son brassard, il est lâchement assassiné. On retrouve son corps criblé d’une rafale de mitraillette, tirée dans le dos.

Il était Compagnon de la Libération et titulaire de la Croix de guerre avec palme.

La guerre d’Indochine va mettre en évidence le besoin de prêtres. Guerre particulière où les parachutistes de la Légion Étrangère et de la Coloniale vont effectuer des sauts opérationnels, souvent d’urgence, pour venir en aide aux postes isolés. Les aumôniers vont devenir des parachutistes.

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Paul JEANDEL né le 11 mai 1921

Ordonné prêtre en juillet 1948, le père Jeandel va ensuite enseigner dans un collège, mais il sent qu’il n’est pas fait pour cela. Il fait donc une demande pour devenir aumônier militaire. Le 1er février 1950, il est aumônier de la Division de Constantine ; c’est là qu’il va contracter le virus parachutiste.

Moqué parfois, gentiment, par ses ouailles, parce qu’en soutane, en « jupon », il décide de ne pas parler seulement du ciel, mais aussi d’en descendre. Il demande à ses supérieurs de passer le brevet parachutiste, ils donnent leur accord à condition de servir en Indochine. Le père Jeandel n’hésite pas une seconde, mais, lors du 5ème saut, il se casse une jambe. Rétabli, il persiste et obtient finalement son brevet en juin 1951.

Il débarque le 7 octobre 1951 à Haïphong et fait de suite la tournée des postes de son secteur. Le 23 octobre, il participe à sa première opération à Nghia Lo. Puis, il effectuera son premier saut opérationnel à Hoa Binh, le 12 novembre 1951. Après une série d’opérations c’est finalement Tu Lé, pour son 20ème saut, avec le 6ème B.P.C. du commandant Bigeard.

Le 15 octobre, 21 H 00, le 6ème B.P.C. est mis en alerte. Convoqué au PC, le père Jeandel apprend qu’il part en opération avec Bigeard.

Le 16 octobre, saut sur Tu Lé. Après plusieurs jours de combat, c’est le repli le 20 octobre. L’arrière-garde est prise à partie par les Viets, la piste est jonchée de morts et de blessés. Le lieutenant Magnillat aperçoit un homme revenir tranquillement sur ses pas. C’est l’aumônier, le Père Jeandel qui lui dit : « Je ne peux pas abandonner tous ces blessés » et il continue son chemin prodiguant soins et réconfort aux blessés … et vers une captivité qui va durée 22 mois.

Le Père Jeandel est titulaire de la Légion d’Honneur et de la Croix des T.O.E. avec 3 citations.

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Marcel JÉGO (1914-1965)

  1. Le séminariste Marcel Jégo fait connaissance avec l’armée. Apte au service militaire, c’est au 117ème Régiment d’infanterie de Laval qu’il fera son service militaire. Caporal le 15 septembre 1935, caporal-chef le 10 octobre suivant, puis sergent le 1er janvier 1936. Il va garder de son passage à la caserne le souvenir du devoir accompli et des amitiés pour la vie. Puis, c’est le retour au Grand séminaire. 1938. Le sergent Marcel Jégo quitte la soutane, il est rappelé et part sur la Ligne Maginot. Fin d’alerte. Notre séminariste reprend la soutane. Il sera ordonné prêtre en juin 1939, à Vannes. Le 22 août 1939, il est nommé vicaire dans la paroisse de Crac’h. À peine installé, il reçoit son ordre de mobilisation le 26 août 1939, pour Le Mans, que le sergent Jégo rejoint le jour même.

Chef de groupe à la 7ème compagnie du 117ème Régiment d’infanterie, c’est le départ pour Coucy-sur-Aisne. En décembre, il sera promu sergent-chef. Blessé une première fois en Lorraine, en novembre, il sera de nouveau blessé en mai 1940 lors d’une offensive de son régiment. Il se retrouve démobilisé après l’armistice.

Dès 1940, il va rejoindre la Résistance et se retrouve en même temps curé de Crac’h en Bretagne. Membre de l’O.R.A. (Organisation de Résistance de l’Armée), avec le grade de sous-lieutenant et le pseudonyme de Paul-Marie Bayard.

Dénoncé à la Gestapo, il s’échappe et rejoint le maquis comme lieutenant puis capitaine. En 1942, jeune prêtre et chef de la Résistance de Quimper, il distribuait des médailles de Saint-Michel qui serviront à ses agents de signe de reconnaissance. Après la guerre, il s’engage comme aumônier à la 25ème Division Parachutiste ; le capitaine Bayard reprend son vrai nom ; le Père Jégo.

Le Père Jégo est affecté au 1er R.C.P., il part le 1er décembre 1946 pour Philippeville où il va suivre un entraînement intensif de parachutiste. À la veille de l’embarquement des parachutistes pour l’Indochine, le 22 décembre 1946, le Père Jégo va conclure son homélie dans la cathédrale de Bône par un : « Et par Saint-Michel, vive les parachutistes » qui deviendra l’appel à l’archange Saint-Michel de tous les parachutistes du monde.

 Le 23 décembre 1946, il embarque avec le 1er R.C.P., à Bône, et arrive à Saïgon le 17 janvier 1947. Le lendemain, il embarque sur le « Champollion » à destination de Haïphong où il arrive le 23 janvier. Il va parfaire son entraînement para et c’est à Hanoï, le 5 mai 1947, qu’il obtiendra son brevet para, sous le N° 20 300.

Auparavant, du 24 janvier au 14 avril, il participera aux opérations dans le secteur d’Haï- phong. Toujours près des blessés et des mourants, il n’hésite pas, parfois, avec une musette de grenades, à dégager ses camarades parachutistes, prit sous le feu des Viets.

Il quittera l’Indochine en juillet 1950 avec la croix des T.O.E. et six citations qui vont se rajouter à la Légion d’Honneur et la croix de guerre 39/45.

Après plusieurs missions en Afrique du Nord, il va devenir, en avril 1953, l’aumônier des parachutistes coloniaux et du Groupement d’instruction de Mont de Marsan et de Bayonne.

En 1961, par une décision brutale des autorités, le Père Jégo se trouve rayé des cadres de l’aumônerie militaire. Mis à l’écart en Allemagne pendant trois mois, il est rendu à la vie civile sans droit à la retraite. Sa fidélité à ses compagnons d’armes et sa proximité d’un général partisan de l’Algérie française, vont provoquer cette mise à l’écart.

Il est nommé curé d’une paroisse dans les Landes, à Ossages, où il remobilise toute une paroisse pour suivre le culte chrétien.

Après avoir traversé tant de batailles, il se tue en voiture le 12 mars 1965, en revenant des obsèques de son frère.

Un très bel ouvrage lui a été consacré par le Père Richard Kalka en 2017.

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François CASTA (1919-2011)

François Joseph Antoine Casta est né le 20 août 1919 à Calenzana, en Corse. Le 24 juin 1943, il est ordonné prêtre en la basilique de Notre-Dame de Fourvière. Le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, le nomme vicaire de l’Immaculée Conception, une paroisse de Lyon.

Après le débarquement de Provence, en août 1944, il rejoint la 1ère   Armée française du général de Lattre de Tassigny en tant qu’aumônier militaire auxiliaire avec le grade de sous-lieutenant. Il prend part à la campagne d’Alsace. Il est très grièvement blessé après avoir « personnellement exploré de jour et de nuit, un champ de mines où était signalés des blessés et les avoir ramenés au prix de risque considérables » indique l’une de ses premières citations.

Volontaire pour l’Indochine en 1947, il devient aumônier au 1er Bataillon de Choc au Tonkin, puis des 1er RCP er 1er BEP, après avoir passé son brevet parachutiste (N° 20755). Il est présent lors de l’opération de Bac-Kan durant laquelle les parachutistes prennent le trésor d’Hô Chi Minh.

À cette occasion, il fait graver une médaille à l’effigie de Saint-Michel qui devient définitivement le saint patron des parachutistes (financé par une partie du trésor d’Hô Chi Minh). C’est le Père Jégo qui ramènera des milliers de médailles lors de son deuxième séjour en Indochine.

Le 15 avril 1949, il devient aumônier titulaire (capitaine) et le 14 juillet de la même année, il est fait chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur. Il est rapatrié en France le 22 septembre 1949. Volontaire pour un second séjour, il retrouve la terre indochinoise en 1951. Durant ce deuxième séjour, il sera de nouveau cité à deux reprises.

En mars 1954, il est muté en Allemagne au Régiment colonial de chasseurs de chars. Puis, c’est la guerre d’Algérie. Il rejoint le Constantinois comme aumônier divisionnaire de la 25ème Division Parachutiste où il retrouve le 9ème RCP et le 2ème REP.

C’est la retraite. Mais il ne reste pas inactif. Il passe un doctorat de théologie à Lyon en 1962. Le 1er janvier 1965, il est mis à la disposition du diocèse d’Ajaccio et durant trente ans, il sera le curé de la paroisse Sainte-Monique de l’Isolella. Il se consacrera à la rédaction d’ouvrages relatifs à la Corse et à son histoire chrétienne.

Trois guerres et onze citations lui valent d’être décoré, en 2004, de la Grand-Croix de la Légion d’Honneur. En 2006, grand invalide de guerre, il quitte la Corse et entre à l’Institution Nationale des Invalides de Paris où il poursuivra ses activités d’écrivain et son ministère au service des autres pensionnaires. Il y meurt le 23 août 2011.

Décorations :

Grand-Croix de la Légion d’Honneur

Croix de guerre 39/45 avec deux citations

Croix de guerre des TOE avec six citations

Croix de la Valeur militaire avec trois citations

Croix du combattant volontaire

Croix du combattant.

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Depuis 1969, les aumôniers sont présents sur tous les théâtres d’opérations de l’armée française, en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. On compte actuellement 186 aumôniers catholiques, 53 aumôniers protestants, 27 aumôniers israélites, 45 aumôniers musulmans et 1 aumônier orthodoxe. Sur la poitrine de certains vous pouvez lire de sacré parcours ; Liban, Afghanistan, Kosovo, Tchad, Mali, Zaïre, Rwanda, Golfe …