LES COOLIES CHINOIS A TAHITI

OU COMMENT LA GUERRE DE SÉCESSION PROVOQUA L’ARRIVÉE DES CHINOIS À PAPEETE.

Curieusement, l’arrivĂ©e massive des premiers migrants chinois est due Ă  la guerre de sĂ©cession qui a embrasĂ© l’AmĂ©rique entre 1860 et 1865. Ce conflit entre Nordistes et Sudistes va provoquer une pĂ©nurie de coton, principalement en Europe.

Un homme d’affaire Ă©cossais, du nom de William Stuart, eut l’idĂ©e de produire du coton Ă  Tahiti. Il crĂ©a une grande exploitation, plus de 1 000 ha, dans le sud de l’üle. Le domaine Atimaono connut rapidement la prospĂ©ritĂ©. La pĂ©nurie de main d’Ɠuvre provoqua l’arrivĂ©e de coolies chinois.

Résidence de William Stuart au domaine de Atimaono

Il faut noter Ă©galement que la population locale avait subi plusieurs Ă©pidĂ©mies et maladies, introduites par les navigateurs de passage. En 1767, la population polynĂ©sienne Ă©tait de 63 000 Ăąmes, il n’y en a plus que 8 568 recensĂ©es en 1829, soit une chute de 70 %. Il y avait donc un net manque de bras pour faire tourner une exploitation.

Le 25 mars 1865, il y a 155 ans, arrivent les premiers travailleurs chinois, au nombre de 337 en provenance de Hong Kong, sur un trois-mĂąts prussien, le « Ferdinand Brumm ». Neuf coolies sont morts durant le voyage, probablement par la privation d’opium.

Arrivée des Chinois à Papeete.

En fait, cette main d’Ɠuvre n’était pas de Hong Kong, mais de la province de Gnandong, ils appartenaient aux groupes ethniques des Hakkas et des Puntis (Canton).

Coolies chinois au moment du débarquement

Le gouvernement impĂ©rial (NapolĂ©on III) avait pris en considĂ©ration la disparition de l’esclavage, aboli en 1848, pour lui substituer une immigration contrĂŽlĂ©e. Un service de santĂ© obligatoire pour une exploitation de plus de 12 coolies, un accompagnement pour les familles, pas de sĂ©vices corporels


Pour la petite histoire, il faut noter que le premier Chinois Ă©tait venu en PolynĂ©sie en 1800. Il Ă©tait cuisinier Ă  bord d’un bateau russe et il resta aux Tuamotu (lĂ©gende ou vĂ©rité ?). Puis, en 1851, les premiers immigrants chinois, au nombre de 6, arrivĂšrent Ă  Tahiti Ă  bord d’un trois-mĂąts français l’ « Orixa », en provenance de Manille. En 1856, un groupe de Chinois en route pour la Californie, aprĂšs une escale en Australie, fut dĂ©barquĂ© Ă  Papeete.

Le dĂ©barquement des 328 premiers coolies, le 25 mars 1865, fut suivi d’un second convoi du « Spray of the OcĂ©an », le 8 dĂ©cembre 1865, avec 342 immigrants. Puis, un troisiĂšme avec l’ « Albertine », le 6 janvier 1866 avec 339 coolies. Ces recrutements Ă©taient organisĂ©s par la Compagnie Agricole de Tahiti. En 1866, on dĂ©nombra un total de 1016 Chinois Ă  Tahiti.

À partir de 1870, la production de coton reprit aux États-Unis, et, l’exploitation d’Atimaono connaĂźt de sĂ©rieux problĂšmes financiers. Elle fait faillite en 1873. Beaucoup de coolies qui avaient signĂ© un contrat de 7 ans, repartent en Chine, un certain nombre pourtant restĂšrent en PolynĂ©sie. Leur nombre baissa jusqu’à 320 en 1892.

En 1902, l’immigration reprend malgrĂ© un dĂ©cret du 30 aoĂ»t 1902, obligeant chaque Chinois Ă  dĂ©tenir un passeport. Le 4 dĂ©cembre 1903, un nouveau dĂ©cret oblige les Chinois Ă  ĂȘtre immatriculĂ©s avec attribution d’un numĂ©ro.

Carte d’immatriculation d’un coolie Chinois

Comme partout dans le monde, dĂšs qu’un afflux de population Ă©trangĂšre arrive sur un territoire, des problĂšmes culturels, religieux, surgissent. Ce fut le cas Ă  Tahiti.

Les coolies, jusqu’alors considĂ©rĂ©s comme des ouvriers dociles dans le cadre d’une immigration contrĂŽlĂ©e et temporaire vont provoquer le mĂ©contentement des locaux. Le flux des nouveaux arrivants, de plus en plus nombreux, n’est pas du goĂ»t des colons et des commerçants europĂ©ens, et va rapidement dĂ©gĂ©nĂ©rer. Ils leur reprochent une vie dĂ©pravĂ©e, la passion des jeux d’argent et leur goĂ»t pour l’opium.

En fait, les grands commerçants europĂ©ens souffrent de voir le commerce de dĂ©tail conquis par les boutiques chinoises. On va inventer des taxes pour les dĂ©courager. MalgrĂ© les lois françaises, il faudra attendre 1899 pour que les commerçants ne paient plus de taxes d’immatriculation et soient Ă  Ă©galitĂ© avec les autres commerçants. Parmi les mĂ©contents, le cĂ©lĂšbre peintre Paul Gauguin qui se montre particuliĂšrement violent envers la communautĂ© chinoise.

Avis signé Paul Gauguin

L’arrivĂ©e Ă  Tahiti de missionnaires chrĂ©tiens, expulsĂ©s de Chine, va favoriser l’intĂ©gration de la communautĂ© chinoise par la conversion au christianisme et la scolarisation.

L’Histoire a toujours ses hĂ©ros, les Chinois de Tahiti ne font pas exception. Le hĂ©ros chinois de Tahiti se nomme Chim Soo Kung.

DĂ©but avril 1869, une bagarre Ă©clate entre coolies chinois Ă  la grande plantation d’Atimaono. Un lieu oĂč les conditions de travail sont trĂšs dures, six jours de travail sur sept et 12 heures par jour, pour un salaire de misĂšre. Une dette de jeu en est Ă  l’origine, il y a un mort et un blessĂ© grave. Seize personnes sont arrĂȘtĂ©es, huit Tahitiens et huit Chinois. Parmi les huit Chinois, deux sont acquittĂ©s, deux condamnĂ©s Ă  cinq ans d’emprisonnement et quatre, dont Chim Soo Kung, sont condamnĂ©s Ă  mort. Trois seront graciĂ©s.

Tahiti ne possĂšde pas de guillotine, il faut en construire une sur les lieux mĂȘmes du meurtre. À dĂ©faut de plan, on imagine une machine rudimentaire. Puis, on procĂšde Ă  des essais sur des troncs de bananiers, sur des chiens, sur des porcs. L’exĂ©cution est mal prĂ©parĂ©e. Le 19 mai 1869, l’un des trois coolies graciĂ©s est envoyĂ© par erreur sur les lieux du supplice. On s’aperçoit de l’erreur et on fait venir le vrai condamné ; Chim Soo Kung, matricule 471.

Le condamnĂ© est conduit au pied de la guillotine, pieds et poings liĂ©s, il est installĂ© sur la, planche. On dĂ©clenche le couperet 
 qui reste immobile. Plusieurs hommes tentent de le dĂ©bloquer, sans succĂšs. La machine a Ă©tĂ© peinte la veille avec du coaltar, qui, une fois sec, a fait corps avec le bois et empĂȘche le couperet de glisser. Chim Soo Kung, est retirĂ© de sa planche. Le charpentier arrive et va s’acharner durant 45 minutes sur la machine, quand enfin, aprĂšs plusieurs essais, ça fonctionne. Le condamnĂ© est placĂ© sous le couperet. L’exĂ©cution est terminĂ©e. Innocent ? Coupable ? Les archives de l’époque ne procurent aucun Ă©claircissement.

Chim Soo Kung aprĂšs son arrestation

Aujourd’hui, pour la communautĂ© chinoise, Chim Soo Kung s’est sacrifiĂ© alors qu’il Ă©tait innocent, il est devenu le symbole unificateur de la communautĂ© et un martyre.

Un autel dédié à Chim Soo Kung est situé prÚs du Temple chinois de Kanti de Mamao, à Papeete. Son mausolée en forme de fer à cheval se trouve à Arue.

Le mausolée de Chim Soo Kung

Le Temple chinois de Papeete

Les coolies chinois ont commencés comme ouvriers et finissent par diriger le pays économiquement, avec leurs commerces, la politique, les médias 
 et les autochtones sont devenus leurs ouvriers.

 

                                                                                                  Â