VOYAGE À MARRAKECH

Six mois…Six mois que Pierre était à la retraite. Au début, c’était comme au moment des congés payés, l’euphorie qui chaque année permettait aux laborieux de recharger les batteries. Les congés annuels avaient été inventés par des politiciens, au moment du front populaire,  non pas pour que les parisiens et les banlieusards puissent prendre des bains de pieds sur les plages de Normandie, mais pour booster les cadences de travaille à leurs retours, et faire plaisir aux patrons. Les craintes des ouvriers, à l’époque, étaient de savoir si leur place, au retour des congés, était toujours disponible. Aujourd’hui encore, les patrons, au moment des congés, restructurent leurs entreprises, souvent, le bureau à changé de place, de fonction, et une nouvelle tête apparaît. C’est alors le placard ou la porte pour celui ou celle qui avait eu l’outrecuidance de s’absenter trois semaines.

Après une période de tracas administratifs, le paiement de la retraite était régulier. Les allers-retours dans les bureaux de l’administration pour apporter le document manquant, n’ont qu’un temps. À un moment, le dossier est complet. Puis, la pression retombe, c’est presque le calme plat.

Désormais, c’était la promenade du matin avec le chien, s’occuper du jardin, repeindre les volets… Dans le quotidien apparaît aussi la sieste, parfois jusqu’à « épuisement ». Mais, il y avait aussi des temps morts. Pierre, lui, se donnait à une nouvelle passion ; les jeux publicitaires  pour gagner un robot-marie, une voiture ou un bon d’achat. Pour l’instant, il n’avait rien gagné, mais il persévérait. On lui avait fait plusieurs fois le coup de « Vous êtes l’heureux gagnant… », dans une grande enveloppe en couleur, sous conditions de s’abonner à ceci ou à cela, ou d’acheter le dernier livre de cuisine. Un jour, peut-être…

Aussi, Pierre devenait plus attentif au courrier ; chaque matin, il était au portail pour accueillir la factrice avec l’espoir d’une bonne nouvelle.

– Marthe ! T’as ramassé le courrier ?

– Mon pauvre vieux, c’est dimanche aujourd’hui. Faudrait peut-être écouter les infos.

– Ça va, ça va ! Pas d’ironie, un peu de pitié pour les vieux travailleurs.

En fait, Pierre avait fait un jeu et il était sûr de son coup, il espérait gagner un voyage à Marrakech. Quelque chose lui dit que cette fois-ci…

Le lendemain matin.

La factrice avait eu à peine le temps de tendre le bras que Pierre avait déjà la lettre dans la main. D’habitude, il papotait un peu avec elle, mais aujourd’hui, il n’avait qu’une hâte ; ouvrir le courrier. Bingo ! Gagné ! Discrètement, Pierre prit le téléphone, fixe et sans fil, et retourna dans le jardin…

– Allô ! Allô ! Bonjour ! Je viens de recevoir un courrier m’informant que j’ai gagné un voyage…Oui, oui ! C’est ça, c’est bien mon nom et j’habite à Tourouzelle dans l’Aude…Je vais recevoir un courrier de Maître…Dans huit jours…

Une semaine plus tard.

– Bonjour ! Vous avez un recommandé, voulez-vous signer ici svp. Merci !

– C’est quoi Pierre ?

– Rien…Encore de la pub.

Pierre avait décidé de faire la surprise à sa femme et donc, il ne dit mot. Il faut maintenant s’occuper de l’étape suivante et convenir d’une date avec Marmara qui avait organisé le jeu. Puis, prendre contact avec l’agence de voyage désignée à Narbonne…ou l’inverse peut-être.

– Félicitation monsieur, vous avez gagné un séjour d’une semaine à Marrakech, dans un hôtel cinq étoiles ; l’hôtel Idrissides. Il suffit de convenir de la date et je vous édite les billets d’avion. Vous avez vos passeports à jour ?

– Oui, oui…

– C’est parfait.

Sur le chemin du retour, Pierre fait une halte au supermarché, avec les courses du jour ;  en plus, il achète une bouteille de champagne. Il fallait bien ça pour arroser l’évènement. Le soir venu, Pierre, qui avait ménagé son effet, sortit la bouteille de champagne du réfrigérateur et accroche l’enveloppe surprise au col de la bouteille.

– Ma chérie, j’ai une grande nouvelle à t’annoncer. Nous partons pour une semaine à Marrakech…Et voici les billets d’avion.

– Mon Dieu ! C’est pas possible…Il faut que j’aille chez le coiffeur…Je n’ai pas de rendez-vous…Et puis, ma robe…

– Marthe, ma chérie, ce n’est pas pour un défilé de mode ; c’est pour des vacances.

C’est ainsi que cette aventure débute.

Quinze jours plus tard.

Tourouzelle-Toulouse en voiture, le parking, la navette jusqu’à la salle d’embarquement, l’enregistrement des bagages, tout va très vite. Le couple de touristes fait tout cela comme de vieux habitués aux voyages.

Après deux heures trente de vol, ils survolent l’Atlas avant d’atterrir à Marrakech. Dès l’ouverture de la porte de l’avion, une sensation de douce chaleur saute au visage. Les vestes ont disparu, gilets et châles également. Le temps de faire les formalités de police, les bagages sont déjà sur le tapis roulant. Dans le hall de l’aéroport, le brouhaha habituel, les appels des haut-parleurs que personne ne comprend. Les employés des hôtels se mettent en avant avec leurs petites pancartes où figurent soit le nom de l’hôtel, soit le prénom des clients ( pas de nom ). Voici celui de l’hôtel Idrisside, il est en tenue traditionnelle avec un fez rouge écarlate sur la tête. Idrissides-Marmara, pas de doute, c’est le bon guide et il ne s’appelle pas Nathalie, c’est à Moscou que les guides …

Les bagages et les touristes sont dans un bus climatisé qui va les transporter vers l’hôtel. Les appareils photos font leurs apparitions, Pierre et Marthe se régalent du spectacle des rues et boulevards qu’ils traversent. Sur l’itinéraire, les jardins de la Menara, au loin le minaret de la Koutoubia…

Un méhari ( dromadaire ) avec son méhariste sur le dos, en tenue traditionnelle avec des babouches et un portable à l’oreille. Contraste surprenant entre le passé et la modernité.

L’organisation de l’hôtel est parfaite, pas de temps mort, des sourires gracieux, la disponibilité des personnels est au top. Un rafraîchissement est proposé, le programme d’activités de la journée est distribué…En fait, ils occupent les clients le temps de décharger les bagages et d’enregistrer tout ce beau monde. Les voici dans leur chambre. Superbe.

 idrisside

Après un brin de toilette, nos deux touristes se retrouvent dans le hall d’accueil. Ils se sont inscrit pour le tour de la ville en bus à impérial, histoire de faire connaissance avec les lieux mais aussi, ils ne veulent rien perdre de leur court séjour au Maroc.

 marrakech-bus-touristique

Les écouteurs plantés dans les oreilles, le curseur sur la traduction en français…C’est parti ! Plusieurs étapes sont au programme. Première halte ; les jardins de la Menara avec ½ heure de promenade. Les grands boulevards, puis la Place Jeamâa el-Fna,  la koutoubia  et ses jardins, les remparts, la clinique des cigognes, les jardins de Majorelle et en dernier la grande palmeraie. Absolument superbe, un peu long, mais tellement beau…Demain, ils remettront ça, mais à pied pour prendre le temps et pour le plaisir des yeux, selon une expression locale.

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 Les jardins de la Menara

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 La Place Jeamâa el-Fna

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 Le minaret de la Koutoubia

  

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 Magnifique…Les jardins de Majorelle

Première sortie pédestre. La Place Jeamâa el-Fna. Les porteurs d’eau, les charmeurs de serpents, les jus d’oranges, le souk…Tout cela est très différents du marché du mercredi de Lézignan-Corbières. Ils déambulent sur la célèbre place et les photos souvenirs s’accumulent. Heureusement que les pellicules photos n’existent plus, il faudrait une brouette de pellicules de rechange à ce rythme.

– T’as remarqué ce type, je l’ai aperçu à la sortie de l’hôtel et plusieurs fois sur la place ?

– Mais non ! Tu rêves tout éveillé à tes romans policiers.

– Je t’assure, je l’ai déjà vu. Bon ça va…

Effectivement, un individu les épiait. Se sentant découvert, il se met à couvert derrière un rideau de végétations.

– Tu vois mon petit Pierre, c’était ton imagination.

Et chacun se perd dans ses pensées.

… « Quelle luminosité, et toutes ces couleurs, ses odeurs… »…

… « Elle a beau dire, je le trouve louche ce type »…

La journée s’achève ; c’est le retour à l’hôtel pour une première nuit au Maroc…avec la clim.

Le lendemain.

– Marthe ! Allez debout, c’est l’heure. Aujourd’hui pas de petit déjeuner au lit, je suis en vacances.

– Grrrrrrrrrr !

Un petit déjeuner copieux et varié est à la disposition des clients, et à volonté ; il y en a pour tous les goûts. Si bien que Marthe remarque que certaines personnes font le plein pour la journée en dissimulant pain, charcuterie et pâtisseries dans un sac.

– Pierre, t’as vu ça ? Quand même…

Les voici installé pour le breakfast.

– Pardon ! Pouvons-nous partager votre table ?

– Mais je vous en prie.

– Nous désirons nous installer au Maroc et en attendant, nous voyageons un peu, dit la femme.

– Pour connaître ce pays ; une très grande différence entre le Nord et le Sud. La semaine dernière, nous étions à Agadir et à Taroudant. Il y fait très chaud.

Pierre et Marthe les écoutent poliment. Marthe ne peu s’empêcher de penser : « Curieux ces gens. Ils se confient à nous comme à de vieux amis, parle de s’installer au Maroc pour se reposer, alors qu’ils n’ont pas quarante ans. C’est peut être un de ces nababs virés avec un parachute doré ? ». Le petit déjeuner se termine et les deux couples se séparent.

– Drôles de gens. J’ai l’impression qu’ils racontent des coups ; t’as vu les bijoux du bonhomme ? Ce sont des bijoux de maquereau…et elle, c’est du toc.

– Tu as raison ; pour des gens qui veulent jouer aux jeunes retraités friqués, ils n’ont pas le profil.

– Aujourd’hui, nous allons traîner dans les jardins de la Koutoubia et le long des remparts…Si tu veux bien.

– Mais bien sûr belle dame…C’est toi mon guide.

Pour gagner du temps, ils décident de prendre un taxi. Il faut savoir que les petits taxis sont réservés pour les trajets en ville et les grands taxis sont pour les parcours de ville à ville. Donc, petit taxi.

Ah ! Malheur et catastrophe. C’est pire que les montagnes russes et tous les manèges du genre secouez-moi. Imaginez un aveugle, sans permis, au volant d’un bolide, lancé à vive allure sur des boulevards où circulent d’autres aveugles. Aucun ne respecte le code de la route, puisqu’aveugle personne ne voit de panneaux ni de feux tricolores. Ce qui est surprenant, c’est qu’ils arrivent à destination…juste un peu secoué comme un orangina.

 Sign  " Petit Taxi "  at a taxi stand Marrakesh , Morocco , Africa

Ce qui est écrit au-dessus de « Petit taxi » ce n’est le plan de l’itinéraire mais la traduction en arabe

Cela faisait à peine un quart d’heure que Pierre et Marthe se promenaient dans les jardins de la Koutoubia, lorsqu’un individu les aborde :

– Salamalekoum ! Police ! Je vous demande de me suivre au poste de sécurité. Nous avons quelques questions à vous poser.

Pierre a reconnu l’homme qui les épiait. Ils suivent le policier avec une certaine inquiétude, et après un trajet assez court, ils arrivent au poste. Installés devant un bureau, le couple se demande pourquoi ils sont là ?

– Connaissez-vous ces personnes ? Dit le policier en montrant une photo.

– Oui, oui ! Ils sont dans le même hôtel que nous et nous avons eu l’occasion d’échanger quelques mots avec eux.

– Mais vous ne les connaissez pas particulièrement.

– Non…C’est la première fois que nous les rencontrons, répond Pierre.

– Pourtant, hier sur la Place Jeamâa el-Fna, ils ont tenté de rentrer en contact avec vous ; mais vous m’avez repéré et vous l’avez fait comprendre au couple.

– Mais pas du tout ! C’est quoi cette histoire…Je veux appeler notre ambassade..

– Chaque chose en son temps. Pour l’instant c’est moi qui mène la danse et qui décide de la suite. Présentez-moi vos passeports.

– Je refuse ! Dit Pierre.

Le policier change alors de ton.

– Vous êtes certain de vouloir refuser ? Il y a tellement de disparitions dans le monde, en France comme au Maroc ; alors deux de plus…

– Et ça ! Dit le policier en montrant une nouvelle photo. C’est un montage peut-être ; Vous êtes ensemble à la même table.

– Mais qui sont ces gens ? S’étonne Marthe.

– Ces gens comme vous dites sont des escrocs internationaux qui transfèrent des sommes énormes en euros  et de la drogue vers la France. Je pense que vous êtes complices.

Un long silence. Le couple est sous le choc ; ils s’attendaient à tout, sauf à ça. C’est Pierre qui reprend la parole.

– Oh, oh, oh ! Doucement cher monsieur, vous faites fausse route. Je n’ai rien de tel à me reprocher. Ma femme non plus d’ailleurs. Nous avons gagné un concours à un jeu dont le premier prix était un voyage à Marrakech. Point. Si votre police est bien faite, vous devriez pouvoir vérifier cela.

– Oui, bien sûr. Nous appelons cela une couverture.

– Mais enfin ! C’est du délire.

-Vous avez une preuve contre nous ? Des charges ? Non ! Alors libérez-nous immédiatement. Je vais porter plainte contre vous pour de tels agissements.

– Sans blague ! Il me semble que vous n’êtes pas en situation de porter plainte. Maintenant assez parlé ; videz vos poches, enlevez vos lacets de chaussures, la ceinture du pantalon, montre, bagues…Madame, videz votre sac à main sur le bureau.

Bouche ouverte, les yeux écarquillés, l’étonnement se lit sur la tête de Pierre et de Marthe. Ils ne savent plus quoi dire. Enfin, ils s’exécutent. Leur voyage d’agrément se transforme en cauchemar, c’est au cinéma ou dans des polars que l’on trouve ce genre de situation. Comment se sortir de ce mauvais pas ? En fait, le policier tente le tout pour le tout, à l’intimidation, car il n’a pas de matières légales pour les inculper de quoi que se soit. Il les observe sans un mot, laissant planer l’incertitude et la doute. Marthe et Pierre sont également silencieux…Puis ils sont séparés. Marthe se retrouve avec une femme flic ne parlant pas français, Pierre, dans une pièce vide, tient son pantalon, sans ceinture, des deux mains. Deux heures plus tard…

– Bien…Vous êtes libre. Retournez dans votre hôtel ; mes hommes vont vous surveiller de près. Mohamed ! Appelle un taxi pour ces braves touristes.

Pierre et Marthe, le moral dans les chaussettes, quitte ce lieu sinistre et restent sans voix jusqu’à l’hôtel. Le repas du soir sera du même acabit si ce n’est des banalités du genre « Passe-moi le sel s’il te plaît ». La nuit va être agitée, un sommeil léger et par épisodes. De plus, des rêves pas très agréables vont ponctuer les courtes périodes de sommeil, de quoi rendre de mauvais poils.

– Pierre, je ne prends pas de petit déjeuner ce matin.

– Ok ! J’y vais parce que je veux en avoir le cœur net.

Dans l’immense salle à manger, Pierre scrute les lieux sans apercevoir le couple suspect. Il s’installe à l’extérieur afin de pouvoir observer l’entrée de la salle. Rien…Au bout d’une demi-heure, il décide d’aller à l’accueil pour appeler Marthe au téléphone de la chambre et lui demander de la rejoindre dès qu’elle sera prête.

– Alors ! Tu as vu quelqu’un ?

– Ben non, rien ni personne. Ils ont probablement quitté l’hôtel. Que fait-on ? Les touristes avec les autres ou… ?

– Non ! Partons au souk, nous aviserons ensuite. A propos, nous sommes inscrits pour la soirée « riad », avec repas, danse du ventre et tout le tralala. Départ à 20 heures.

Devant l’hôtel, Pierre hèle « un petit taxi », non sans appréhension. Ils vont se faire secouer pour 10 dirhams.

  Marhaba ! Bienvenue !

– Au souk s’il vous plait.

Il est 10 h 30, la Place Jeamâa el Fna débute son activité, les rideaux s’ouvrent dans le souk. Un « encenseur » va d’échoppe en échoppe avec son encensoir et,  pour une pièce ou deux, il active son fumant appareil pour chasser les odeurs de la nuit.

Petit à petit, la sonorité des lieux change. Les commerçants s’interpellent et échangent les banalités d’usage pour savoir si la famille va bien, l’oncle d’Agadir aussi et le cousin de Tanger…

– Bonjour mes amis ! J’ai de très jolis tapis, pour vous je fais le bon prix…Les Français sont mes amis…

– Combien celui-ci ? Demande Marthe.

– Pas cher ! 5 000 dirhams.

– Oh la ! 3 000…

– …4 000 …

– Non ! 3 000…Marthe fait semblant de partir…

– D’accord pour 3 000…pour le patron et 500 pour moi…

– Si vous voulez, je peux l’expédier en France. Inch’Allah !

– Non merci ! Faites un petit paquet.

Ce qu’il faut savoir c’est que le vendeur est aussi le patron, donc, il a vendu un tapis 3 500 dirhams, tapis qu’il a acheté 1 000 dirhams dans une association de femmes d’un village de la montagne.

Le patron-vendeur connaît son affaire, en deux temps trois mouvements, le tapis a la forme qui permet de rentrer dans un valise. Satisfait de leur acquisition, ils continuent à déambuler dans le souk. C’est l’estomac qui va rappeler à nos deux touristes que c’est l’heure du repas. En effet, il est presque treize heures. Le premier restaurant sera le bon.

Une fois attablé, un serveur avec son carnet, arrive avec précipitation et propose deux, trois menus.

– Pour moi, ce sera un tajine poulet-citron-olives…

– Moi également…

 Tous deux se délectent de ce tajine, mets typiquement marocain. Soudain !

 – Hé ! Regarde…Le couple de l’hôtel.

Pierre vient d’apercevoir le couple au comptoir d’un café. A un moment leurs regards se croisent, Pierre se lève pour cavaler en direction des escrocs. Mais, l’homme méfiant l’aperçoit et le couple disparaît dans la foule.

– Tu te rends compte de ce que tu fais ? Tu voulais leurs passer les menottes ?

– Pardon ! Je n’ai pas réfléchi. Dès la fin du repas, je retourne voir ce flicaillon.

– Moi, à ta place, je n’irai pas.

– Bon ! Il commence à faire chaud. Retournons à l’hôtel. Une sieste réparatrice me calmera.

Après un petit quart d’heure de séance vibratoire en Taxi, ils sont de retour à l’hôtel. Le doux ronronnement de la clim, la fraîcheur que dégage cet engin, a raison d’eux ; ils s’endorment.

Le soleil va vers le couchant, la grosse chaleur décline également. Un peu pâteux, Pierre et Marthe envisagent d’aller prendre un thé près de la piscine de l’hôtel en attendant le grand évènement de la soirée dans un riad du souk.Surprise ! Le policier qui les avait interrogé se dirige vers eux.

– Bonjour monsieur… madame ! Alors ce séjour à Marrakech… ?

– Sans la police, cela aurait pu être agréable, rétorque Pierre.

– Je vous comprends. Je vous informe que nous avons vérifié votre histoire et je vous demande d’accepter nos excuses ; il faut nous comprendre.

– Soit ! En attendant, je trouve que vous y allez un peu fort. Au fait, nous avons aperçu vos escrocs sur la Place Jeamâa el Fna, vers midi, mais ils ont disparu dans le souk.

– Oui, oui ! Nous les filons pour tenter de repérer leurs contacts. Mais vous devriez vous remettre au sport car ils courent plus vite que vous.

Et le soir venu…

Il est 20 heures. Le bus emmène tout ce beau mode vers La Place Jeamâa el Fna ; au loin les illuminations des points de restaurations embrassent la place et le ciel, les odeurs de grillades, de poulet rôti, d’épices et de beignets flottent dans l’air. Une fois débarqué, un guide, toujours en tenue traditionnelle, s’enfonce dans de petites ruelles à peine éclairées. Les touristes pressent le pas pour ne pas être distancé dans les méandres de la vieille ville.

La cadence ralentie. Un Marocain en grande tenue, fez rouge sur la tête et babouches jaunes aux pieds les accueille avec un « marhaba ! Bienvenue ! », mots que tous avaient entendu une bonne centaine de fois au court de la journée. Comme souvent au Maroc, derrière ces murs plus qu’anonymes, la bâtisse de terre s’effrite, les lanternes sont de travers, aucune ouverture n’est d’équerre et la porte principale est tellement basse qu’il faut faire un exercice de contorsionniste pour la franchir. Mais une fois à l’intérieur du riyad, c’est une vision de Mille et une nuit ;  hall immense avec fontaines, richement décoré avec des zelliges sur une hauteur de cinq mètres, de multiples petites alcôves dont les piliers et le plafond en stuc finement ciselés.

Première attraction ; le lavage des mains avec bouilloire, bassine et serviette avec l’aide de deux jeunes femmes. C’est une tradition. Il y a aussi la petite note d’humour du guide qui informe l’ensemble des convives qu’il ne faut pas gâcher l’eau de la cérémonie du lavage des mains, car elle va servir à faire le thé à la fin du repas. Ce qui déclenche un Oooooh ! spontané et bruyant.

Puis les musiciens se mettent en place et entament les premières notes. C’est un mélange arabo-berbère-andalou, très agréable à l’oreille, qui met de suite les convives dans une ambiance orientale.

 musiciens maroc

Les musiciens vont accompagner les convives durant tout le repas. Parfois, on a l’impression que les serveurs esquissent un pas de dance avec leur plateau à la main. C’est un va-et-vient de plats fumants et d’odeurs d’épices, un ravissement pour les narines avec d’être celui des papilles. Après le sucré-salé, les pastillas aux pigeons, le tout accompagné d’un vin de Meknès, un petit 14° pour mettre de l’ambiance. Vers la fin du repas, subitement, les musiciens changent de registre.Le rythme change, c’est plus langoureux, avec parfois un emballement plus puissant. Une femme apparaît sous des voiles multicolores aux reflets brillants de mille étoiles ; puis une deuxième, une troisième… au total, six jeunes femmes bien en chair.

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– Du calme mon petit Pierre, je suis toujours là, moi.

– Oui, oui ! Je sais…Seulement avec les yeux…

Au moment où les danseuses disparaissent, un tonnerre d’applaudissement secoue la salle. Puis un grand silence, presque pesant. Marthe, donnerait beaucoup pour savoir se qui se passe derrière le regard lubrique qu’elle constate chez certains messieurs.

Pour le quatrième jour à Marrakech, ce sera piscine le matin, petite sieste et en fin d’après –midi, visite de la grande palmeraie puis, repas sous la tente caïdale. Durant tout le repas, les danseuses et les musiciens ont produit le fond sonore provoqué par les tambourins et les youyous des femmes. Puis, c’est le clou de la soirée ; une fantasia. Spectacle typique du Maghreb et particulièrement du Maroc, c’est un spectacle équestre avec le fameux cheval berbère barbe. Cette tradition consiste à simuler une charge de cavalerie. Après une course brève et rapide, les montures avec leurs harnachements d’apparat très coloré, pilent net à un mètre des spectateurs. C’est à ce moment là que les cavaliers, après avoir fait virevolter leurs longs moukhala (fusils à un coup), tirent en l’air. Le but est de tirer ensemble de manière à n’entendre qu’une détonation.

Pendant le spectacle, les tables ont été débarrassées et le thé et les pâtisseries marocaines jonchent à profusion sur les tables. Tant pis pour le régime minceur.

 tente caidale

 LA TENTE CAÏDALE

 

fantasia

 LE CLOU DE SPECTACLE

Un petit évènement va se produire. Un enfant marocain s’approche de Marthe et lui glisse un billet, puis disparaît.

– C’est quoi ?

– Je ne sais pas. Il m’a mis ce papier dans la main…et hop ! Il a disparu.

Ensemble ils lisent le petit pli : « Demain matin 10 heures, devant l’accueil de l’hôtel. Ne prévenez pas la police. »

Ni Marthe, ni Pierre ne comprennent la signification de ce message. La peur s’installe de nouveau. Faut-il prévenir la police ? Ne pas aller au rendez-vous ? Rester barricader dans la chambre ? Le retour à l’hôtel se fait sans un mot pour Pierre et Marthe, alors qu’autour d’eux l’excitation de la soirée active les conversations.

Avant de se coucher, une discussion s’engage entre le couple.

– Je me demande si ce n’est pas un piège…Un rendez-vous bidon de la police ?

– A mon avis, il faut prévenir la police.

Le lendemain matin…

– Il va être dix heures, je vais descendre à l’accueil. Tu ne bouges pas d’ici.

– Sois prudent Pierre…Téléphone à la police maintenant…

– Non, non ! Je veux en avoir le cœur net.

L’heure passe…

– Pardon monsieur, personne n’a laissé de message pour la chambre 312 ?

– Ah non, désolé monsieur.

10 h 30, personne. Pierre décide de retourner vers la chambre.

– Ouvre Marthe, c’est moi…Pierre.

Pas de réponse. Une femme de ménage passe par là.

– Pouvez-vous m’ouvrir la porte, je n’ai pas la clé.

Surprise ! Pierre et la femme de ménage voient une chambre sens dessus, sens dessous. Les affaires personnelles éparpillées sur le sol, lampe renversée, matelas de travers…

– Vous n’avez rien vu ?

– Non monsieur, rien.

Pierre se précipite vers le hall d’accueil, il en est sûr, on a enlevé sa femme. Un homme l’interpelle.

– Je vous déconseille de prévenir la police ; votre femme va bien. Si vous voulez la revoir,  faites ce que je vous dis. Suivez-moi !

Les deux hommes s’engouffrent dans une Mercedes noire qui attendait devant l’hôtel. La voiture démarre.

– Votre femme est séquestrée ; elle sera libérée le jour du départ, c’est-à-dire après demain, en échange d’un service. Si vous avertissez la police, vous ne reverrez plus votre femme.

– Et c’est quoi ce service ?

– La veille de votre départ, un de mes hommes vous contactera vers 20 heures. Il vous remettra un sac de voyage étiqueté à votre nom.

– Le lendemain, au moment du départ, votre femme vous rejoindra. Elle aura juste le temps de se préparer pour prendre l’avion. N’oubliez pas, nos hommes savent se servir d’une arme, silencieusement, et ils ne seront jamais très loin de vous, même dans l’avion.

– Qui a-t-il dans ce sac ?

– Ceci ne vous regarde pas. Vous assurez le transport, c’est tout.

– Et à l’arrivée ?

– Un homme vous contactera dans l’aéroport pour récupérer le sac.

– Et la douane ?

– Vous avez un passeport européen, vous prendrez donc la file de contrôle correspondante. En règle générale, vos bagages ne sont pas contrôlés.

– Et en cas de contrôle ?

– Vous irez faire un tour en tôle ; pour ce poids là, quatre à cinq ans sans doute.

– Mais c’est ignoble !

– Oui, bien sûr ! Mais c’est très rentable pour nous.

La Mercédès  revient devant l’hôtel. Pierre débarque et la voiture poursuit sa route. C’est une histoire folle ; Marthe doit être morte d’inquiétude. Que faire ? Se taire et espérer que tout se passera bien à la douane française. Ou alors signaler le stratagème utilisé par ces bandits pour passer la drogue ; car c’est certain maintenant, il s’agit de drogue.

Curieusement, Pierre est resté calme et lucide. Marthe risque gros tant qu’elle est aux mains de ces crapules. Il décide donc d’attendre que sa femme soit de nouveau près de lui pour prendre une initiative quelconque. Désormais, il ne quitte plus sa chambre. Le lendemain, vers 20 heures, quelqu’un frappe à la porte…Pierre se précipite…Personne, mais un sac est posé sur le sol. Pendant un court instant, il a la tentation d’ouvrir ce maudit sac, mais il se ravise.

Le lendemain, jour du départ. Pierre sent l’angoisse lui nouer la gorge. Dans le couloir, un bagagiste passe avec son chariot et sa clochette, pour le ramassage des sacs et des valises. Il ne reste plus qu’une heure avant le départ de l’hôtel. Soudain, Marthe apparaît.

– Marthe !

– Pierre ! Mon Dien, c’était horrible.

– Ne perdons pas de temps ma chérie, prépare-toi.

Pierre explique à sa femme qu’il a monté un stratagème pour se sortir de ce mauvais pas. Il a préparé un petit mot qu’il va glisser dans son passeport à l’arrivée. La taille du papier ne dépasse pas la dimension du passeport et le texte est court et simple : « Je transporte de la drogue sous la menace. Un sac rouge à mon nom doit être récupéré par un de leur complice dans le hall de l’aéroport. Aidez-nous ! »

L’enregistrement des bagages et le vol retour se passe sans problème. Il faut garder son sang froid et rester le plus naturel possible.

Toulouse. C’est maintenant que se termine l’aventure ou alors le début des em…C’est au tour de Pierre, il présente son passeport à la police des frontières…avec le petit billet. Le policier marque un petit temps d’arrêt, mais se reprend rapidement, tamponne le passeport et au suivant. Pierre et Marthe se retrouve devant le tapis roulant et attendent leurs bagages. Les voici. Ils chargent le tout sur un chariot et se dirigent vers le hall d’accueil. Pierre scrute en vain le hall de l’aéroport, rien ni personne ne les aborde.

– Allons prendre un café, nous verrons bien, dit Pierre.

Soudain, un homme se plante devant eux…

– Alors, se voyage, ça c’est bien passé ?

Sans autre forme de procès, il prend le sac…

– Vous avez été parfait. Et il disparaît.

Soulagé, Pierre propose de quitter l’aéroport.

– « Monsieur et madame Pierre Courtois sont demandés au guichet Hertz porte 6 »

– Mais c’est nous ça !

– Mais oui…

Ils arrivent au guichet Hertz et un homme les aborde :

 – Bonjour monsieur, madame…Police. Nous venons d’intercepter votre lascar. Félicitation pour votre courage et votre civisme. Cela faisait un moment que ce trafic durait. Nos collègues du Maroc ont également arrêté ceux qui vous ont causé tant d’ennuis. Encore bravo ! Suivez-nous pour votre déposition, ce ne sera pas long.

Quelques semaines plus tard.

Pierre fait du nettoyage dans son jardin. La factrice arrive.

– Hello ! Monsieur Pierre. J’ai un recommandé pour vous.

– Bonjour ! Merci…

« Nous sommes heureux de vous annoncer que vous avez gagné un voyage au Spitzberg, pour deux personnes et pour une semaine… »

– C’est quoi Pierre ?

– …Rien ma chérie…De la pub.

 FIN