LES PETITS MENSONGES DE L’HISTOIRE

Les petits mensonges de l’Histoire sont nombreux ; intentionnels ou erreurs historiques, ils se mêlent souvent, dans ce domaine précis, avec la raison d’Etat, le symbolisme,  le politiquement correct. Nous allons étudier cette fois-ci une « chose » très sensible ; les Morts pour la France.

Si, à travers notre longue histoire, de nombreuses batailles ont ponctué les siècles avec leurs carnages, leurs destructions et leurs modifications géographiques, c’est avec la Première Guerre Mondiale que l’on prend réellement en compte les « Morts pour la France ». Inscription dans les livrets militaires du décès du soldat avec la mention « Mort pour la France » et inscription, à compter de 1920, sur les monuments aux Morts de nos communes.

La « Grande Guerre » est une hécatombe pour l’Europe avec 8 500 000 de morts, 20 500 000 de blessés au combat. Il faut ajouter à cela environ 13 000 000 de civils, victimes des combats, des bombardements, de la famine, des déportations et de la grippe dite « Espagnole » de 1917/18. La France est profondément marquée, la mémoire collective est imprégnée à jamais par ce carnage. Dans ce contexte, on peut le comprendre, il faut des marques, des symboles, des héros, pour galvaniser les combattants et motiver les non-combattants pour l’effort de guerre.

Alors, souvent dans la précipitation, avec les moyens de communications de l’époque, on déclare untel premier mort de la guerre, un autre dernier mort de la guerre, la première unité engagée au combat, le premier officier tué…Nos premiers héros.

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Voici ce que nous dit la version officielle sur ce sujet :

Avant la déclaration de guerre :

 Le caporal Jules André Peugeot du 44° R.I. tué le 2 août 1914 à Joncherey, près de Belfort.

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Le Caporal Peugeot

 Le caporal Jules André Peugeot

 

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Commandant une escouade de la 6° compagnie du 2° bataillon du 44° régiment d’infanterie de Lons-le-Saunier, il fait barrage, le 2 août 1914, à un détachement de reconnaissance allemande de huit hommes du 5° chasseurs à cheval de Mulhouse, qui progresse vers Joncherey en venant de Faverois, après avoir violé la frontière française. Le sous-lieutenant Albert Mayer commande ce détachement. Après avoir sabré, sans le tuer, la sentinelle française postée en avant de l’escouade, Albert Mayer tire trois fois en direction de Jules André Peugeot. Ce dernier réplique et abat le cavalier d’une balle dans le ventre. La deuxième balle allemande à mortellement blessé Jules André Peugeot. Retournant sur ses pas, il s’affaisse devant la maison Docourt et meurt à 10 H 07. Il est considéré comme étant le premier mort militaire français de la Grande Guerre.

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 Ce monument fut détruit par les Allemands en 1940

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 Le monument aujourd’hui.

 

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        Lieutenant Albert Mayer 

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                                                               Plaque commémorative.

 Nota : Dans plusieurs textes, le prénom du lieutenant est Camille (pour une raison que j’ignore). Son nom d’Etat civil est : Albert Otto Walter Mayer (1892-1914)

Après la déclaration de guerre.

Moins connu, il s’agit du cavalier Fortuné Emile Pouget du 12° chasseurs, âgé de 21 ans. Nous sommes le 4 août 1914. Il montait la garde à proximité d’une borne frontière entre Bouxières sous Froidemont et Mardigny. Il est tué à 11 H 50 d’une balle qui est entrée par l’arrière de son crâne,  ressortie par le front.

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 Monument érigé à l’endroit où fut tué Fortuné Emile Pouget. 

Le cavalier Pouget a été enterré le 5 août 1914, à 14 H 00, au cimetière civil de Pont-à-Mousson devant une foule estimée à 5000 personnes. Pour corroborer ces faits, la veille, le mardi 4 août à 13 H 10, la mairie de Pont-à-Mousson avait reçu un appel téléphonique demandant de prévenir la Croix Rouge qu’elle devait envoyer d’urgence une voiture à Bouxières afin de transporter un soldat blessé d’un coup de feu. Faut-il déduire que le cavalier Pouget n’est pas mort immédiatement ?

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 Tombe de Fortuné Emile Pouget à Pont-à-Mousson.

Pour les versions officielles de ces faits, il est très facile de trouver une documentation. Ce n’est pas le cas de la vérité historique, car les premiers soldats français tués de la Grande Guerre étaient …en Algérie. Il faut bien sûr tenir compte des dates et des horaires pour rétablir la vérité. Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Deux navires de guerre allemands, le et le quittent Messine sur ordre de l’amiral Souchon* avec pour mission de bombarder Philippeville et Bône en Algérie. Ces deux villes vont avoir le triste privilège d’être les premières cibles des Allemands au cours de la Grande Guerre.

Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Deux navires de guerre allemands, le Breslau et le Goeben, quittent Messine sur ordre de l’amiral Souchon* avec pour mission de bombarder Philippeville et Bône en Algérie. Ces deux villes vont avoir le triste privilège d’être les premières cibles des Allemands au cours de la Grande Guerre.

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 * Wilhem Anton  Souchon Amiral allemand commandant la division maritime en Méditerranée en 1914.

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Le Breslau qui bombarda Bône.

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 Le Goeben qui bombarda Philippeville.

Lundi 4 août 1914.

A l’aube, le croiseur allemand « Goeben », un navire de 23 000 tonneaux, passe au large du Cap de Fer et se présente face au port de Philippeville. Ce navire de guerre était l’un des plus modernes de la marine allemande, long de 172 mètres avec un équipage d’environ mille hommes. Il disposait en outre d’une artillerie nombreuse et puissante ainsi que de lances torpilles. Vers 5 h 00, il ouvre le feu avec pour objectifs, la gare ferroviaire, les casernes, l’usine à gaz et le port. Heureusement, le fort d’El Kantara riposte avec ses deux canons de 190 mm et touche vraisemblablement le « Goeben » à l’arrière. Surpris, le « Goeben » s’éloigne en direction de l’île Grigina après avoir tiré une cinquantaine d’obus. On compta 80 tués, blessés ou disparus.

Les militaires du 3° régiment de Zouaves, qui avaient passé la nuit dans un hangar du port, dans l’intention d’embarquer pour la Métropole, furent les principales victimes. Ils perdirent 17 hommes et eurent de nombreux blessés.

La pièce de canon N° 21, qui tira les premiers coups de canon de la riposte, fut transportée, le 30 septembre 1919, au Musée des Invalides à Paris.

Liste des militaires tués lors du bombardement du Goeben :

  • Chenu Pierre Laurent soldat de 2ème classe au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 12 309 décédé le 4 août 1914 « tué au bombardement». (Extrait du registre des décès adressé à Trappes, Seine et Oise, le 22 août 1914).
  • Gilli Louis Alexandre sergent au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 621 « tué au bombardement». (Extrait du registre des décès adressé à Laverdurie (Constantine Algérie), le 22 août 1914).
  • Barreyre Roger Joseph Jean sergent au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 04 549 décédé le 5 août 1914 des suites de ses blessures. (Constantine Algérie)
  • Bastien André soldat de 2ème classe au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 10 115 décédé le 4 août 1914 des suites de ses blessures. (Nevers)
  • Benichou Mimoun soldat de 2ème classe au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 1 521 décédé le 4 août 1914 des suites de ses blessures. (Oran)
  • Bouvin Gaston soldat de 2ème classe au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 13 175 décédé le 4 août 1914 des suites de ses blessures. (Extrait du registre des décès adressé au Maire de Roubaix le 22 août 1914).
  • Buchlin Adrien Ernest Théodore sergent au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° L. 149 décédé le 4 août 1914 des suites de ses blessures. (Extrait du registre des décès adressé à Alger le 22 août 1914).
  • Dumas Victor Auguste soldat de 1ière classe au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 8 690 décédé le 4 août 1914 à l’hôpital de Philippeville des suites de ses blessures. (Rhône)
  • Magnot Dominique sergent au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 2 102 décédé le 21 août 1914 des suites de ses blessures. (Extrait de l’acte de décès transmis à Berrouagha (Algérie) le 21 août 1914.
  • Paris Albert sergent-major au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 3 080 décédé le 28 juillet 1914 des suites de ses blessures (Bourges).
  • Ramboz Gaston Jules adjudant au 3° régiment de marche de Zouaves Matricule n° 56 décédé le 4 août 1914 des suites de ses blessures (Lons-le-Saunier).

Bombardement de Bône le 4 août 1914 par le « Breslau ».

La ville était défendue par quatre batteries d’artillerie entre les Caroubiers au-dessus du port, le Fort Génois et le sémaphore du Cap de Garde ; mais ces batteries n’étaient pas opérationnelles.

Vers 03 H30 du matin, le croiseur « Breslau » a été aperçu par le pilote du port qui s’est porté vers lui « à la rame ». ; Les intentions belliqueuses du croiseur ne faisaient plus de doute. Peu après 04 H 00, le « Breslau » ouvre le feu sur la ville. En une demi-heure, 140 obus sont tombés, touchant l’usine à gaz, le carrefour des 4 Chemins au quartier de la Colonne, le Palais Calvin, la gare et le port, coulant un petit vapeur, le « Saint Vincent ». Bilan : un tué et une dizaine de blessés.

Sur l’ensemble des victimes, deux portent la mention « tué au bombardement », les autres semblent être décédés dans la journée ou les jours suivants. Le soldat Chenu était un métropolitain et le sergent Gilli était un « Pied noir ». Il est donc plus que probable que le premier mort militaire de la Grande guerre soit l’un de ces deux soldats. Le caporal Peugeot a été tué le 2 août 1914, donc avant la déclaration de guerre, le chasseur Emile Pouget a bien été tué le 4 août 1914, mais à 11 h 50. L’affaire de Philippeville et de Bône a eu lieu à 05 H 00 du matin. Sans conteste, les braves Zouaves victimes des navires allemands qui bombardèrent Bône et Philippeville, sont les premiers soldats français à avoir perdu la vie dans ce long conflit qui s’annonce.