« ICI LONDRES, LES FRANÇAIS PARLENT AUX FRANÇAIS »
Dès 1940, la BBC va permettre aux Français de Londres de communiquer avec la France. Dans un premier temps, les soldats français pouvaient, au micro de la radio anglaise, prononcer quelques mots leur permettant d’être reconnu par leurs proches, sans pour autant les mettre en danger. Jacques Brunius dira dans l’émission du 26 décembre 1941 avant de lire les messages codés : « Ce courrier est le courrier pour ceux qui sont prisonniers en France »
Avant chaque émission, on peut entendre le fameux « po po po pom. Ici Londres, les Français parlent aux Français. Veuillez écouter tout d’abord quelques messages personnels ». Le fameux po po po pom (3 points 1 trait en morse = la lettre V comme victoire).
L’idée d’utiliser les messages personnels pour transmettre des messages codés est due à Georges Bégué (photo ci-contre), officier français du service secret britannique SOE, premier agent de ce service parachuté en France en mai 1941.
Près de 2 000 agent du SOE ont été envoyés en mission sur le continent, souvent par voie aérienne mais aussi par la mer. Beaucoup furent démasqués et exécutés.
Les Français, résistants ou pas, étaient à l’écoute de la BBC, pourtant interdite. C’était aussi le cas du régime de Vichy et des Allemands. Ces derniers avaient mis en place un système de brouillage, mais sans parvenir à couvrir l’indicatif sonore emprunté à la 5ème symphonie de Beethoven. Les Allemands se servaient de véhicules équipés de matériel radiogoniométrique pour censurer les émissions de la BBC. Mais le brouillage était peu efficace, il produisait des interférences ondulants ne provoquaient qu’un bruit de fond. Ce bruit caractéristique fut appelé « Moulinette » par les Français. Le moyen le plus efficace pour les Allemands était la confiscation du poste TSF.
LES VOIX : Jacques Duchesne, Jean Marin, Jean Oberlé, Jacques Brunius, Pierre Bourdan, Maurice Schuman, Pierre Dac, Pierre Brossolette, Franck Bauer, Jean Jacques Mayoux, André Gillois, Geneviève Brissot, Maurice Diamant-Berger, Jean-Paul Granville. Le général de Gaulle s’exprimait en moyenne une fois par semaine.
Franck Bauer, le speaker de Radio Londres, a dit 517 fois « Les Français parlent aux français » entre 1940 et 1942.
Jean Oberlé est le créateur du fameux slogan « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ».
Maurice Schumann sera le porte-parole officiel de la France Libre.
Les messages codés :
La liste serait trop longue, voici quelques exemples :
Il fait chaud à Suez
L’angora a les poils longs
Le canapé se trouve au milieu du salon
Frederick était roi de Prusse
Il faut avoir des pipes pour trier les lentilles
Clémentine peut se curer les dents
Le coq chantera à minuit
Le soleil se lève à l’Est le dimanche
L’éléphant s’est cassé une défense
Et bien entendu, les plus célèbres :
Les sanglots longs des violons de l’automne (1ière partie)
Bercent mon cœur d’une langueur monotone (2ème partie)
Le message « Les carottes sont cuites » a servi de code à la BBC pour annoncer l’imminence du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie.
Il faut noter une petite anecdote : Verlaine ou Trenet ?
Dans le message de la BBC, les sanglots bercent, alors que pour Verlaine ils blessent. En effet, le texte faisait référence aux vers de Paul Verlaine, mais aux paroles de la chanson, très populaire, de Charles Trénet :
Les sanglots longs des violons de l’automne
Bercent mon cœur d’une langueur monotone
Tout chancelant et blême quand sonne l’heure
Je me souviens des jours anciens et je pleure
Et je m’en vais au vent mauvais qui m’emporte
De ci, de là, pareil à la feuille morte
A savoir également que ces célèbres messages étaient destinés au réseau Ventriloquist uniquement et non à l’ensemble des réseaux de résistance. La première partie (1er juin 1944) indique aux saboteurs de se tenir prêt, la deuxième partie, le 5 juin à 21 H 15, ordonne le passage à l’acte. Ventriloquist devait alors entrer en action pour saboter les voies ferrées et empêcher l’armée Allemande de rejoindre la Normandie. Deux messages parmi les 354 qui furent alors adressés aux différents réseaux.
Le 1er juin 1944, la BBC inonde les ondes avec plus de 200 messages codés, diffusés à 12 H 30, 15 H 30, 18 H 30 et 21 H 15. Certains messages sont authentiques pour mettre en alerte les réseaux de la Résistance. D’autres ne correspondent à rien, ayant simplement pour but de brouiller les pistes des écoutes allemandes.
Revenons au 28 juin 1940. L’émission « Messages personnels » permettait aux soldats français, séparés de leurs familles, de les rassurer. Ils venaient au micro de la BBC prononcer des phrases leur permettant d’être reconnus par leurs proches. Quelques temps plus tard, un colonel anglais, Maurice Buckmaster (photo de droite), chef de section française du SOE, eut l’idée de mêler à ces dédicaces un certain nombre de messages tout aussi mystérieux, permettant de coordonner des actions contre l’ennemi sans éveiller les soupçons.
Franck Bauer (à gauche) a connu une vie extraordinaire : musicien de jazz, reporter de guerre, secrétaire général de la Comédie-Française, directeur du premier cabinet français de relations publiques. Il comparait son passage à la BBC tous les soirs à 20 H 00, à celui de « Poivre d’Arvor à la télévision ». « J’organisais le programme et je l’annonçais … Des millions de gens écoutaient tous les soirs notre émission. Ils étaient souvent couché sous leur table avec des couvertures pour que la Milice ou les Allemands ne puissent les déceler, sans cela ils auraient été sévèrement punis. Notre boulot, c’était de pousser à la résistance. Informations, ordre du jour sur ce qu’il faut faire ».
Ce jeune musicien de jazz de 21 ans avait été recruté par Jean Oberlé qui trouvait sa voix « claironnante pour passer le brouillage ».
De gauche à droite : Paul Boivin, Jacques Duchesne, Geneviève Brissot et Jean-Paul Granville, une partie de l’équipe des « Français parlent aux Français » à la BBC
Pendant quatre années, ils ont fait la curiosité et l’espoir d’une France occupée. Un cri dans le silence de l’occupation pour animer les actions de la Résistance. Le 3 septembre 1941, pour la première fois sur les antennes de la BBC, un message codé prévient un agent français du SOE, qu’un parachutage dans l’Indre est confirmé. « LISETTE VA BIEN » marque le top départ de l’opération.