Laurent Voulzy nous chante une magnifique chanson : Belle-Île-en-Mer, Marie Galante (1985) :
Vous, c’est l’eau, c’est l’eau
Qui vous sépare
Et vous laisse à part
Dans cette chanson, il parle de lui, de sa couleur de peau … mais, avec son grand ami Souchon, savaient-ils que Belle-Île-en-Mer abritait un bagne pour enfants de 1880 à 1977 ?
Marianne Oswald, en 1936, nous a chanté un poème de Prévert « La chasse à l’enfant ».
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île
On voit des oiseaux
Tout autour de l’île
Il y a de l’eau
C’était le temps, pas si lointain, où l’on mettait les enfants indisciplinés dans des centres baptisés « colonies agricoles » ou « maisons de rééducation ». C’était le temps où les enfants qui gênaient les adultes, les « petits morveux », les orphelins, les mal-aimés, les illégitimes étaient jetés dans les bras de la justice sous un prétexte quelconque, pour les isoler de la société dans, ce qu’il faut appeler, « bagne ».
Sur la carte postale ci-dessus on peut distinguer un bateau à l’intérieur même du pénitencier. Il servait à former de futurs marins pour la marine marchande. Bien entendu, ce navire n’a jamais repris la mer.
Un soir d’août 1834, un enfant bagnard mord à pleines dents un morceau de fromage avant de manger sa soupe. Le gamin est roué de coups par les gardiens. L’un d’eux, avec son trousseau de clés, frappe le malheureux au visage … les dents cassées, le gamin tombe à terre. C’est alors qu’une émeute éclate et cinquante cinq pensionnaires s’évadent. Rapidement, une « battue » est organisée pour rattraper les fugitifs. Une prime de vingt francs est offerte aux touristes et aux habitants de l’île pour chaque capture.
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Les pêcheurs de l’île se précipitent sur leurs petits bateaux pour les mettre au sec ; les enfants pourraient s’en servir pour rejoindre le continent. Des rondes et des battues s’organisent ; il faut dire que depuis longtemps, gardiens et insulaires sont complices. Les uns pour laisser volontairement évader un petit bagnard, les autres pour capturer les fugitifs. Le but ; se partager les primes.
Malheur à celui qui est repris. Le jeune Roger Abel, décédé le 1er avril 1937, entre 10 ans et sa mort, il a connu Mettray (un autre bagne), Belle-Île et pour finir, la colonie pénitentiaire d’Eysses. Il pesait 68 kg à son arrivée, 50 kg à son décès. Il a vécu cent cinquante jours en cellule et il est mort de dénutrition et de claustration.
Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s’y sont mis.
Qu’est ce qui nage dans la nuit ?
Quels sont ces éclaires, ces bruits ?
C’est un enfant qui s’enfuit,
On tire sur lui à coups de fusil.
Le petit Bourdet sera le seul à réussir à rejoindre le continent. L’affaire fit grand bruit et la presse s’en empara. Jean Malavoix, journaliste au Petit Parisien, fait une enquête à Belle-Île et dénonce les conditions de détention des enfants. Les conditions de vie dans les bagnes pour enfants vont s’améliorer. Mais les « maisons de redressement » resteront en vigueur jusqu’en 1977. Durant 150 ans, de petits enfants et des adolescents vont connaître ce qu’il y a de plus dur pour un gamin : la privation de liberté.
Aujourd’hui, les enfants, dès six ans, disposent d’un téléphone portable, savent se servir d’une télécommande pour la télévision, possèdent des jeux électroniques d’une violence incroyable. La justice, sans doute pour se faire pardonner, offre une protection à outrance à ces petits. Même les fessées sont strictement interdites.