ANTOINE FUËT, UN NARBONNAIS…

… CORSAIRE DE LA RÉPUBLIQUE, PUIS CORSAIRE DE L’EMPIRE !!!

 antoine fuet 2Aux Antilles, et particuliĂšrement en Guadeloupe, de nombreux squares, rues, places et citĂ©s, portent son nom. Le journal «Pilote» N° 34 de 1960, raconte aux enfants les aventures de cet Audois extraordinaire. Quelques Ă©crivains antillais parlent de lui, mais un seul ouvrage nous donne une vĂ©ritĂ© historique sur ce personnage, « Antoine FuĂ«t Corsaire d’Empire » d’AndrĂ© NĂ©gre (1963 – Éditions du Scorpion).

Dans le registre paroissial de Saint-Paul, (reg. 14 F 177), est mentionnĂ© le baptĂȘme d’Antoine FuĂ«t, nĂ© le 22 janvier 1759. Il est le deuxiĂšme enfant de Jean FuĂ«t, maĂźtre-serrurier et de Marguerite Cayla, son Ă©pouse. La famille vivait depuis trĂšs longtemps dans le quartier du Bourg qui, Ă  cette Ă©poque, Ă©tait le quartier des artisans et des commerçants de Narbonne. Toujours dans les registres paroissiaux de Saint-Paul, on apprend que son grand-pĂšre, Paschal FuĂ«t, dĂ©cĂ©dĂ© Ă  Narbonne en 1752, Ă©tait nĂ© Ă  « Bordeau » (Bordeaux de nos jours). Si le jeune Antoine n’a pas pu connaĂźtre son grand-pĂšre, le vieux Paschal avait sans doute racontĂ© Ă  son fils Jean, des histoires de bateaux qui revenaient des mers lointaines chargĂ©s d’épices et de trĂ©sors. Certainement que son pĂšre Jean, Ă  son tour, raconta Ă  son petit Antoine les aventures maritimes que le papet lui avait racontĂ©es. C’est peut-ĂȘtre Ă  ce moment-lĂ  que le jeune Antoine va dĂ©couvrir la passion de la mer.

Dans la vieille citĂ© qu’est Narbonne avec ses 9 841 habitants (recensement du 18 octobre 1790), Antoine FuĂ«t va grandir et s’instruire. Il aide son pĂšre au travail de la forge, c’est lĂ  qu’il va sculpter son corps d’athlĂšte. TrĂšs grand pour son Ăąge, les Ă©paules larges sur lesquelles tombe une chevelure noire qui rappelle ses origines espagnoles du cĂŽtĂ© de sa grand-mĂšre. Des yeux de mĂȘme couleur qui lui donne un regard profond et une expression de visage qui reflĂšte une force tranquille et une franchise naturelle. Parfois il accompagnait son pĂšre vers le port d’Agde (Port la Nouvelle n’existait pas encore), grand port de la MĂ©diterranĂ©e  avec un trafic de 60 000 tonnes pour 900 bateaux par an. La laine, le chanvre, le soufre, l’huile et le savon Ă©taient importĂ©s tandis que les objets manufacturĂ©s et les cĂ©rĂ©ales remplissaient les cales des navires en partance. Le travail de forge l’amenait souvent Ă  Agde et il plaçait lui-mĂȘme les piĂšces sur les navires en rĂ©paration. C’est lĂ  sans doute que le jeune Antoine rĂȘvait de lointains voyages. Les goĂ©lettes de tous les pays de la MĂ©diterranĂ©e venaient lĂ , tandis que d’autres, toutes voiles dehors, poussĂ©es par le Cers, filaient vers l’horizon, les cales pleines. C’est lĂ  qu’il dĂ©cida de devenir marin, et capitaine bien entendu, car il avait de l’ambition.

1794. Antoine FuĂ«t entra donc Ă  l’École Hydrographique de Narbonne en 1776, une des meilleurs de France avec celle de Bayonne. TrĂšs bon Ă©lĂšve, studieux, il n’a aucune difficultĂ© pour aborder les nombreuses matiĂšres enseignĂ©es. Soixante mois de navigation et neuf mois de service sur les vaisseaux du Roi, Ă©taient en plus de l’enseignement thĂ©orique, une obligation pour ces futurs capitaines de la marine marchande. À 25 ans, il obtient son brevet de capitaine hauturier (au long coursAntoine FuĂ«t se trouve en Guadeloupe en qualitĂ© de capitaine d’un navire marchand. L’üle vient de tomber aux mains des Anglais, le 22 avril. Le lendemain, embarque Ă  Rochefort le dĂ©nommĂ© Victor Hugues, dĂ©signĂ© par la Convention pour empĂȘcher les Anglais d’y prendre pied. La flotte se compose de la «Pique», la «ThĂ©dis», deux vieilles frĂ©gates, et de l’«EspĂ©rance», un petit brick. Elle est accompagnĂ©e de 5 bateaux de transport avec 1 150 soldats Ă  bord. Ils ne pouvaient savoir que les Anglais avaient dĂ©barquĂ© en Guadeloupe avec 4 000 hommes, et qu’ils disposaient, en outre, de 8 gros vaisseaux de lignes de 74 canons, de 7 vaisseaux de 50 canons et de 20 frĂ©gates et corvettes soit 1 500 piĂšces d’artillerie rĂ©parties sur 35 navires. Victor Hugues ne dispose que d’une soixantaine de piĂšces. La petite flotte française apprit la perte de la Guadeloupe, le 2 juin 1794, en arrivant Ă  l’üle de la DĂ©sirade. Qu’importe ! Victor Hugues n’hĂ©site pas une seconde et dĂ©barque en Guadeloupe, Ă  la pointe des Salines. Sept mois aprĂšs, il avait jetĂ© tous les Anglais Ă  la mer.

Quelques lignes pour parler de ce « Conventionnel » Victor Hugues ; un curieux personnage. Il est nĂ© Ă  Marseille en 1762, dans une famille de boulanger. Marin aux Antilles, commerçant au Mexique et Ă  Saint-Domingue oĂč il exerça le mĂ©tier de son pĂšre. Riche, puis ruinĂ©, il revint en France au moment de la RĂ©volution avec une main en moins, perdue dans une rixe, mais avec une solide connaissance des Antilles. C’était un petit homme laid, un gros torse plantĂ© sur deux jambes frĂȘles. Chauve, il avait le visage rongĂ© par la petite vĂ©role. TrĂšs grossier, il ne s’exprimait que par des injures. FĂ©roce, il ne se dĂ©plaçait jamais sans une guillotine. Cruel, il fit dĂ©terrer le corps putrĂ©fiĂ© du gĂ©nĂ©ral anglais Dundas (mort depuis sept mois), le jugea en public, et le fit guillotiner sur le cours Nolivos Ă  Basse-Terre. Mais c’était un meneur d’hommes avec des talents d’organisateur hors du commun. D’une Ă©nergie extraordinaire, c’était un rĂ©el patriote. C’est cet homme qui va rĂ©unir Ă  Pointe-Ă -Pitre environ 25 commandants de navires français, alors prĂ©sents dans le port ; Antoine FuĂ«t Ă©tait de ceux-lĂ . Hugues leur demanda de nuire le plus possible aux Anglais en attaquant leurs navires, de dĂ©barquer Ă  l’improviste dans leurs possessions pour piller et rĂ©pandre l’insĂ©curitĂ©. Á cet effet, il leur dĂ©livra des «lettres de marque». Les corsaires de la Guadeloupe Ă©taient nĂ©s. (Pour la petite histoire : l’activitĂ© de la flotte française aux Antilles poussa les Etats-Unis Ă  crĂ©er US Navy.)

corsaires 1

TrĂšs rapidement, ces deux douzaines de capitaines de navires marchands se rĂ©vĂ©lĂšrent ĂȘtre de vĂ©ritables marins d’élites. En peu de temps, ils vont ruiner le commerce anglais, ridiculiser la flotte anglaise et apporter une richesse incroyable dans la colonie, grĂące Ă  leurs prises. Ces corsaires vont porter Ă  l’Angleterre, puis Ă  l’AmĂ©rique – car la Guadeloupe Ă©tait en guerre avec les Etats-Unis de 1798 Ă  1801 – de rudes coups, comme jamais dans leur histoire. Les chiffres avancĂ©s par les U.S.A. sur l’importance des prises faites par ces corsaires figurent dans le rapport « French spoliations » de Sommerville P. Tuck, Ă  la demande des Affaires ÉtrangĂšres des U.S.A. : 1 571 prises !!! Quant Ă  la Lloyd de Londres, elle a publiĂ© que durant cette pĂ©riode, 1793-1797, les corsaires anglais avaient capturĂ© 375 navires français tandis que les corsaires français avaient fait amener pavillon Ă  2 266 bateaux anglais. Les corsaires de la Guadeloupe capturĂšrent durant cette mĂȘme pĂ©riode, plus de 800 navires qui rapportĂšrent 50 millions de francs Ă  la colonie. Le chef de file de ces corsaires n’était autre qu’Antoine FuĂ«t, d’emblĂ©e l’égal des plus grands. Il fut surnommĂ© le «Surcouf des Antilles».

Les dĂ©buts de corsaire de notre hĂ©ros ont commencĂ© avec l’expĂ©dition de Saint-BarthĂ©lemy oĂč il a manifestĂ© de solides aptitudes guerriĂšres sur son premier bateau corsaire, le « Sans Pareil », une goĂ©lette Ă  huniers lĂ©gĂšre et trĂšs rapide. Les cordages impeccablement bien lovĂ©s, les cuivres brillaient avec Ă©clat et le pont Ă©tait dans un parfait Ă©tat de propretĂ©, car le capitaine exigeait que son navire corsaire soit aussi rutilant qu’un navire de la marchande. Lui-mĂȘme arborait toujours une tenue parfaite, contrairement aux capitaines corsaires aux tenues fantaisistes et colorĂ©es. À son bord, 22 hommes d’équipage, les meilleurs, sachant manier le mousquet et la hache, valant chacun au-moins deux marins ordinaires. Son second et maĂźtre d’équipage, un immense mulĂątre, s’appelait Tom. Ce dernier avait pour son capitaine une fidĂ©litĂ© et une admiration sans bornes. Autre personnage important, le maĂźtre-canonnier. Il avait la charge de la Sainte-Barbe, c’est-Ă -dire de la soute Ă  munitions, un mĂ©tis d’indien, de noir et de blanc, du nom de Zoye. Bossu, maigre, des jambes arquĂ©es, on disait de lui « I laid con on pĂ©chĂ© commis le Vendredi Saint » (il est laid comme un pĂ©chĂ© commis le Vendredi Saint). Mais il n’avait pas son Ă©gal pour pointer une piĂšce et il arrivait souvent Ă  dĂ©mĂąter un adversaire avec un seul boulet. Antoine FuĂ«t avait soigneusement choisi ses hommes.

En 1795, parmi les victoires, signalons une goĂ©lette espagnole, la « Fortune », commandĂ©e par le capitaine Cristobal Carachette. Le « Sans Pareil » avait manƓuvrĂ© de maniĂšre Ă  ĂȘtre assez prĂšs de son adversaire, et, aprĂšs avoir hissĂ© son pavillon et tirĂ© un coup de semonce, Antoine FuĂ«t rĂ©ussit par un coup de barre Ă  arriver par le travers de l’Espagnol. MalgrĂ© la riposte aux canons de la « Fortune », les matelots français jetĂšrent leurs grappins et le corsaire narbonnais bondissait dĂ©jĂ  sur l’ennemi Ă  la tĂȘte de ses hommes. Carachette devinant l’issue du combat, capitula rapidement. Antoine FuĂ«t enleva peu de temps aprĂšs, un brick anglais, le « Bristol ». MalgrĂ© la nette supĂ©rioritĂ© de l’armement de ce dernier et d’un Ă©quipage de 60 hommes, un bref combat amena l’Anglais Ă  la raison.

combats corsaires

La mĂȘme annĂ©e, FuĂ«t captura un gros navire de commerce anglais, le « Marianne de Greenock ». Le combat fut rude, car l’Anglais Ă©tait puissamment armĂ© et avait un Ă©quipage de prĂšs d’une centaine d’hommes. FuĂ«t s’était rapprochĂ© de lui Ă  la course, tenant lui-mĂȘme la barre. SĂ»r de lui, l’Anglais ralentit brusquement en ramenant sa voilure ; il attendait le corsaire. DĂšs que le «Sans Pareil» fut Ă  portĂ©e de mousquets, FuĂ«t ordonna un tir nourri tandis que le «Goddam» manƓuvrait pour se mettre en position de tir. FuĂ«t, d’un coup de barre, Ă©vita la manƓuvre et prĂ©senta son artillerie Ă  bout portant. Avant que les sujets du Roi Georges III ne rĂ©agissent, nos corsaires jetĂšrent leurs grappins et sautĂšrent Ă  bord. Au moment de l’abordage, notre ancien capitaine de marine marchande, paisible et pacifique, devenait un autre homme. Cet Hercule Ă©crasait tout sur son passage, une hache ou un sabre dans une main, un pistolet dans l’autre, il semait la terreur. Il semblait ĂȘtre dans son Ă©lĂ©ment dans le vacarme du combat, les cris, le feu
 Bien que trois fois plus nombreux, les Anglais se rendirent pour Ă©viter un massacre inutile.

En octobre ce fut le tour de la goĂ©lette anglaise l’«Active», commandĂ© par le capitaine Patrick Dummont. Lorsque FuĂ«t rĂ©ussit Ă  venir Ă  portĂ©e de canons, il ordonna Ă  Zoye de lĂącher sa volĂ©e. Zoye qui pointait lui-mĂȘme une piĂšce, visa si bien que le boulet alla briser le gouvernail de l’«Active», qui, dĂ©semparĂ©e, tourna en rond. Les grappins Ă©taient jetĂ©s et les corsaires du « Sans Pareil » se ruaient Ă  l’abordage en chantant le cĂ©lĂšbre «Ah, ça ira», c’était une tradition chez les corsaires de la Guadeloupe.

canon corsaireVers la fin de l’An III (1795), Antoine FuĂ«t abandonna le commandement du « Sans Pareil » pour prendre celui de la «Terroriste», une jolie goĂ©lette fine et maniable Ă  souhait. Le « Halifax » allait bientĂŽt en faire les frais. C’était un brick anglais, armĂ© de 12 canons de 6, de 6 canons de 10 et de 60 hommes d’équipages, tandis que la «Terroriste» n’avait qu’une piĂšce de 32 et 6 canons de 6 avec 22 hommes et mousquets. Ce fut le brick qui prit FuĂ«t en chasse, sĂ»r de sa supĂ©rioritĂ©. Lorsque le brick arriva Ă  portĂ©e de canons, la « Terroriste » vira de bord et lĂącha sa volĂ©e. Trois boulets dans la coque de l’Anglais, au-dessous de la ligne de flottaison, dont deux dans la Sainte-Barbe (soute Ă  munitions). La poudre de l’Anglais Ă©tait noyĂ©e. Zoye, le maĂźtre-canonnier avait fait parler la poudre de ses canons. Quelques jours plus tard, ils capturĂšrent le « Brothers Adventure ». C’était un trĂšs gros navire de commerce avec 150 hommes Ă  bord et de nombreux canons de 18. Zoye, une fois de plus, rĂ©ussit Ă  couper la drisse du grand hunier, du grand Ă©tai et celui de l’artimon de l’ennemi. Puis, une savante manƓuvre de FuĂ«t fit le reste. Avant l’abordage, l’Anglais amena son pavillon. Á la mĂȘme Ă©poque, notre hĂ©ros captura Ă©galement deux autres bricks anglais, la «Donna Maria» et la «Clarissa».

En 1796, se dĂ©roula un cĂ©lĂšbre combat maritime qui valut Ă  Antoine FuĂ«t un deuxiĂšme surnom. Ce jour-lĂ , FuĂ«t commandait une petite goĂ©lette nommĂ©e la «ThĂ©rĂšse». Il revenait d’une expĂ©dition et son navire Ă©tait chargĂ© de barils et de caisses pleines de moedes, c’est-Ă -dire de piĂšces d’or portugaises. Il avait fait cette prise la veille sur un navire anglais et le corsaire n’avait eu le temps que de transborder la prĂ©cieuse cargaison avant que le navire ne sombre. Trois Ă©normes brĂšches sous la ligne de flottaison, le brick anglais n’avait tenu qu’une heure avant de couler. Ce jour-lĂ  donc, entre Cuba et le continent, un Anglais pris notre corsaire en chasse pour l’intercepter. La petite goĂ©lette de FuĂ«t Ă©tait toutes voiles dehors et l’Anglais ne parvenait pas Ă  gagner sur lui. Notre capitaine aurait pu aisĂ©ment lui Ă©chapper, mais FuĂ«t n’était pas de ceux-lĂ  et il fit volte-face.

Le puissant navire ennemi pensait avoir facilement raison de la petite goĂ©lette, mais FuĂ«t manƓuvrait finement et Ă©vitait les tirs nourris du « goddam ». Le combat durait maintenant depuis plusieurs heures, car Ă  cette Ă©poque, les boulets Ă©taient moins meurtriers que les roquettes de nos jours. NĂ©anmoins, les deux navires avaient souffert. Le maĂźtre-canonnier Zoye, remontant de sa soute Ă  munitions annonça Ă  son capitaine : « Il ne reste de la poudre que pour deux heures de combat, il n’y a plus de boulets pour bourrer la gueule des canons ». Il ne restait Ă  FuĂ«t que deux solutions ; capituler ou se faire exploser avec la « ThĂ©rĂšse». Il allait se rĂ©soudre Ă  sauter avec sa goĂ©lette lorsque soudain il eut une idĂ©e. « DĂ©foncez les barils et les caisses, chargez les canons Ă  mitraille avec les piĂšces d’or », ordonna-t-il. La lutte reprit, incroyable, fĂ©roce, meurtriĂšre. Un dernier boulet de Zoye avait abattu le mĂąt de misaine de l’Anglais qui manƓuvrait difficilement maintenant. La mitraille dorĂ©e avait dĂ©chirĂ© les voiles, fait Ă©clater le bois, dĂ©chiquetait le corps des matelots ennemis paniquĂ©s. RevĂȘtu de son uniforme Ă©tincelant, FuĂ«t se lança Ă  l’abordage en tĂȘte de ses hommes, un sabre dans une main, une hache dans l’autre, deux pistolets Ă  la ceinture, en criant Ă  ses corsaires : « Et maintenant les enfants, allons rĂ©cupĂ©rer notre monnaie ». Le corps Ă  corps fut acharnĂ© et bref. AprĂšs un quart d’heure de lutte, le brick capitula. Un cri unanime retentit sur le pont : «Vive le capitaine Moede !».

caisse d'orLes derniÚres munitions du capitaine Antoine Fuët

En officier avisĂ©, FuĂ«t ramena le brick Ă  Pointe-Ă -Pitre. Il fit dissĂ©quer les cadavres par les chirurgiens qui rĂ©cupĂ©rĂšrent prĂšs de 300 piĂšces d’or dans les chairs mortes, tandis que les hommes d’équipage extrayaient 1 813 piĂšces de la coque du navire. En recevant des mains de leur capitaine leur part d’or, les survivants disaient : « Sa ki ka mangĂ© zĂ© pas save si bonda a poule ka fait io mal », (Ceux qui mangent des Ɠufs ne savent pas quel mal ces Ɠufs ont fait au derriĂšre des poules). L’exploit fut connu en France, mais contrairement Ă  Surcouf ou Fourmentin-Bugaille, rĂ©guliĂšrement citĂ©s par les grands quotidiens, FuĂ«t, ses camarades et leurs exploits ne bĂ©nĂ©ficiaient que rarement de la tribune du Moniteur Universel. Trop loin de la mĂ©tropole, ils Ă©taient des hĂ©ros oubliĂ©s, bien trop retirĂ©s des champs de bataille de la RĂ©publique et de l’Empire. Pendant plus de dix ans, notre hĂ©ros va fendre les flots, allant de victoire en victoire, se battant Ă  la tĂȘte des corsaires de la Guadeloupe contre l’AmĂ©rique, contre l’Angleterre.

Depuis son mariage, le 2 juin 1800, avec Marie-Magdeleine Dutour, ses sorties en mer Ă©taient moins frĂ©quentes. La Paix d’Amiens a fait cesser les combats durant 14 mois. Puis, Ă  partir du 12 mai 1803, aprĂšs la rupture de ce traitĂ© avec l’Angleterre, les combats en mer reprirent de plus belle. FuĂ«t reprit lui aussi la mer et quelques capitaines de sa gracieuse MajestĂ© Georges III fiLĂ©gion d'Honneurrent les frais du savoir-faire du Narbonnais. Le 21 messidor An XIII (10 juillet 1805), Antoine FuĂ«t reçut la LĂ©gion d’Honneur des mains du gĂ©nĂ©ral Ernouf, au camp de Bologne, devant toute la population. On venait de trĂšs loin pour voir dĂ©corer le cĂ©lĂšbre capitaine Moede. Tous les capitaines corsaires de la Guadeloupe Ă©taient prĂ©sents avec leurs Ă©quipages. L’honneur Ă©tait grand pour tous, car enfin, une reconnaissance venait de la lointaine mĂ©tropole. Antoine FuĂ«t reçu le mĂȘme jour l’Aigle d’argent et fut le premier habitant de la Guadeloupe et aussi le premier Narbonnais dans l’ordre de la LĂ©gion d’Honneur.

Le 6 janvier 1806 naquit une petite Marie-Magdeleine AdĂšle chez les FuĂ«t. Au cours du troisiĂšme trimestre de cette mĂȘme annĂ©e, le capitaine Moede reprit la mer avec le «Flibustier». Une de ses premiĂšres victimes fut un navire anglais, le mal-nommĂ© «Lucky». L’engagement fut trĂšs rude, et FuĂ«t vainqueur alla vers Saint-Martin avec sa prise pour la vendre, mais Ă©galement pour rĂ©parer son navire qui avait beaucoup souffert au cours de ce dernier combat. Les travaux une fois terminĂ©s, il reprit la mer et captura un autre navire anglais, la «Sainte-Lucie», une grande goĂ©lette Ă  trois mĂąts et 150 hommes Ă  bord. C’est ce navire qu’il arma ensuite en course pour son usage personnel en lui donnant le nom de l’«Insolente». C’est sur cette goĂ©lette qu’il allait disparaĂźtre en mer quelques mois plus tard.

Dans la nuit du 9 au 10 septembre 1806, un terrible cyclone s’abattit sur les CaraĂŻbes. Il est vraisemblable qu’Antoine FuĂ«t et l’«Insolente» furent engloutis ainsi que Zoye et Tom, ses fidĂšles compagnons. Ils sombrĂšrent dans le mĂȘme oubli. Jamais un Anglais, ou quiconque, ne s’est vantĂ© de l’avoir capturĂ© ou coulĂ©. Le capitaine Moede ne s’inclina que face aux forces de la nature. Aujourd’hui, oubliĂ© des Narbonnais, une rue porte cependant son nom Ă  Narbonne, une petite plaque de rue dont les habitants ignorent l’origine.

trois mats