LE CLAIRON

En zoologie, le clairon est un petit coléoptère de la famille des cléridés ; son nom provenant de la forme des bandes en chevrons de leur corps, rappelant les ornements de manches des clairons et fifres des militaires.

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Mais c’est de l’instrument de musique dont je veux vous parler. Inventé en 1822 par le fabricant Antoine Courtois, le clairon va changer la vie des soldats sur les champs de bataille et dans les casernes.

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1969 – Tchad, fort-Lamy, Camp Dubut, sur les bords du Chari. Il est treize heures et trente minutes…un clairon sonne le début de la sieste. Le chef de poste ferme le portail de l’entrée du camp. Interdiction formelle de quitter l’enceinte militaire durant le moment le plus chaud de la journée ; la sieste est obligatoire.

Au quartier Fayolle, à Castres, j’avais l’habitude d’entendre les différentes sonneries qui rythmaient nos activités de la journée. Le réveil, le rassemblement, les couleurs, le vaguemestre, la soupe, l’appel des punis en particulier « Appel des cons…Appel des cons…Appel des consignés » et bien sûr, l’appel du soir et l’extinction des feux à vingt-deux heures. Mais la sieste…Jamais. Là, en Afrique, ce fut chose faite. Bien que plus de quarante années ont passé, mon horloge biologique continue à me faire éprouver une certaine faiblesse, dès le repas de midi terminé, et sans clairon, « sieste obligatoire jusqu’à épuisement » disait un de mes anciens.

J’ai une petite pensée pour Marie-Dominique, celle de la chanson… (Cliquez sur la flèche à gauche du lecteur ci-dessous pour lancer l’écoute)

Marie, Marie-Dominique

Que foutais-tu à Saïgon

Ça ne pouvait rien faire de bon

Marie-Dominique

Je n’étais qu’un cabot-clairon

Mais je me rappelle ton nom

Marie-Dominique

Est-ce l’écho de tes prénoms

Ou le triste appel du clairon

Marie-Dominique

 

1822 – Dans le cadre de la réorganisation de l’outil militaire, le très ancien cornet va céder la place au clairon, mieux adapté, au son plus puissant. A l’époque, l’Etat-major ne lésinait pas sur les dépenses pour assurer les missions de l’armée, ne supprimait pas 50% des effectifs pour faire des économies. C’est une ordonnance royale qui va en décider.

ORDONNANCE DU ROI

Portant que le cornet sera remplacé, dans tous les corps de l’armée, par un nouvel instrument qui portera la dénomination de clairon.

Au Château des Tuileries, le 22 mai 1822

Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, à tous ceux que ces présentes verront, salut !

L’expérience ayant démontré que le cornet actuellement en usage dans les compagnies de voltigeurs et d’infanterie légère était nuisible à la santé des hommes qui s’en servent, et qu’il représentait d’ailleurs d’autres inconvénients pour le service ;

NOUS AVONS ORDONNÉ ET ORDONNONS CE QUI SUIT :

Article 1er . Le cornet sera remplacé, dans tous les corps de notre armée, par un nouvel instrument qui portera le nom de clairon.

Article 2 . Il sera donné à chacun de ces corps un exemplaire de la nomenclature des différentes sonneries que nous avons adoptées, et qui devront être suivies désormais dans les pratiques journalières de la troupe et particulièrement les manœuvres d’infanterie légère.

Article 3 . Notre Ministre secrétaire d’État au département de la guerre est chargé de l’exécution de la présente ordonnance.

Donné en notre Château des Tuileries, le 22 mai de l’an de grâce 1822, et de notre règne

Signé LOUIS

Par le Roi, le maréchal, Ministre secrétaire d’État de la guerre

Signé de BELLUNE.

1831 – En 1831, le chef de musique Pierre Melchior compose un répertoire complet des sonneries réglementaires pour clairon. A l’époque, les transmissions étaient très difficiles. Fanions et drapeaux ne pouvaient être efficaces en cas de mauvais temps, les estafettes mettaient trop de temps, ou disparaissaient sans remplir leur mission, les roulements de tambours, en cas de vent contraire, n’avaient qu’une portée limité. La puissance du clairon s’imposa naturellement.

 Liste des sonneries de l’ordonnance du 4 mars 1831 :

La générale

L’assemblée (rassemblement)

Le rappel

Au Drapeau

Le pas ordinaire

Le pas accéléré

Le pas de charge

Le réveil

La retraite

Le ban

La messe

La berloque (rompre les rangs)

Le rappel aux clairons

L’appel

A l’ordre

Pas redoublé

Pas de course

Marcher en avant

Halte

Marcher en retraite

Commencer le feu

Cesser le feu

Marcher sur le flan droit

Marcher sur le flan gauche

Ralliement sur la réserve

Ralliement sur le bataillon.

Ce qui est remarquable, c’est que le clairon a inspiré les journalistes pour en faire le titre du journal, les chansonniers du XIX° et XX° siècles. d’Amiati à Brassens. Je me souviens que jeune soldat en 1965, nos instructeurs nous disaient que bientôt nous serons dotés d’un fusil d’assaut du nom de CLAIRON, en fait le futur famas que j’ai eu en dotation …25 ans plus tard.

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Journaux régionaux….

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 « L’air est pur, la route est large, le clairon sonne la charge… »

 

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 Le famas a la forme d’un clairon d’où son premier nom. 

Les clairons célèbres de l’Histoire.

Pierre Sellier (1892-1949) caporal au 171° régiment d’infanterie de Belfort. Le 7 novembre 1918, il est désigné pour accompagner les parlementaires allemands à La Capelle, dans l’Aisne. A 20 h 30, le capitaine Lhuilier lui ordonne de sonner le premier « cessez-le-feu ».

Démobilisé en 1919, il retourne à Beaucourt et travaille chez Japy, puis chez Peugeot à Sochaux. Il refuse l’offre de l’American Légion de faire une tournée aux USA, en 1925, où il aurait du reproduire la sonnerie historique. Les Américains proposent de racheter son clairon, il refuse et préfère en faire don aux Musée des Invalides.

Il est remobilisé en 1939, puis renvoyé dans ses foyers en mai 1940. Il entre dans la résistance et rejoint le maquis de Lomont en août 1944, puis s’engage au 3° R.T.A. Il participe à la campagne Rhin et Danube. Nommé adjudant, il est titulaire de nombreuses décorations et a été plusieurs fois cités.

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 Pierre Sellier

Le clairon français Guillaume Rolland (1821-1915) et celui qui sonna la charge lors des combats de Sidi Brahim contre Abd el Kader.

Les Français avaient engagé à la légère le 8° bataillon de chasseurs à pied et le 2° escadron de hussards contre les troupes d’Abd el Kader. La rencontre tourna mal pour les troupes françaises. Après un premier combat, les Français furent réduit de 450 à 82 chasseurs et hussards face à 10 000 Algériens. Acculés, les Français se réfugièrent dans un marabout d’où ils repoussèrent tous les assauts. Après plusieurs jours de siège, les hommes sont sans eau, à court de munitions. Abd el Kader avait fait décapiter tous les prisonniers, sauf Rolland. Devant le marabout, il demanda au clairon Rolland de sonner la retraite, celui-ci n’en fit rien et sonna la charge. Les survivants n’ayant plus de munitions chargèrent à la baïonnette. Ils percèrent les lignes ennemies et, sur les 82 survivants, 16 purent rejoindre les lignes françaises (5 moururent quelques jours plus tard). Seuls 11 chasseurs sortirent vivants de la bataille, dont Guillaume Rolland.

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La charge de Sidi Brahim

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A gauche Abd el Kader. A droite Guillaume Rolland en 1913.

Avril 1918. Les Allemands tentent de percer le front le 26 avril 1918 et s’emparent du mont Kemmel, en Belgique. C’est le jour où le 59° régiment d’infanterie, régiment de l’Ariège, prend position devant le mont Noir, au nord de Bailleul. Mal abrité, il subit depuis son arrivée de nombreux bombardements de gros calibres. Le 29 avril, les Allemands attaquent en force avec des troupes fraîches. Leur mouvement est précédé d’un violent bombardement de 150, de 210 et d’obus toxiques. La 6° compagnie du 59° R.I. résiste sous le bombardement ; le lieutenant Sacley, voulant rompre l’élan des Allemands, lance plusieurs fusées pour déclencher une contre batterie. Mais, dans la fumée des explosions et des gaz, le signal n’est pas aperçu. Près de lui, le clairon Alfred Parrens s’est rendu compte du danger. Il décide alors spontanément d’alerter les observateurs de l’artillerie, monte sur le parapet de la tranchée et, tourné vers l’arrière, il sonne le « commencez le feu » réglementaire qui déclenche le feu de l’artillerie par temps de brouillard. Il renouvelle plusieurs fois la sonnerie jusqu’à ce qu’il soit abattu par un tir ennemi. Mais son appel a été entendu : le tir de barrage commence, arrêtant les Allemands. Le combat durera jusqu’à 23 heures, les Allemands ne passeront pas.

Le clairon Alfred Parrens sera cité à l’ordre du régiment.