LA RECONQUÊTE DE LA CORSE 9 sept. au 4 oct. 1943

1943 est une année politiquement difficile pour la France Libre. Le général de Gaulle et le général Giraud se partagent la présidence du Comité de Libération nationale. Militairement, deux armées françaises hostiles se côtoient ; l’une déjà couverte de gloire depuis Bir-Hakeim et qui se prévaut de l’option héroïque qu’elle a prise à un moment où tout semblait perdu. L’autre, née de l’armée d’armistice et qui a prêté serment à Pétain, qui a, de plus, un sentiment d’amertume après les affaires de Mers el Kébir, Dakar et Saint-Jean-d’Acre. Les « gaullistes » veulent en finir avec les hommes et les idées de Vichy et la fusion de ces deux armées ne va se faire que très lentement dans un climat de méfiance et de suspicion. De Gaulle va reprocher à Giraud d’avoir organisé un débarquement en Corse sans le consulter, quelques mois plus tard Giraud sera évincé de la scène politique.

Le général Giraud avait préparé cette intervention depuis 1942, en équipant la Résistance corse et en préparant l’armée d’Afrique du Nord à cette opération. Le débarquement en Corse se fera dans des conditions différentes que celles prévues. Initialement, la Résistance devait soutenir les troupes de débarquement, en fait, la Résistance va provoquer l’intervention française. Le 9 septembre, les patriotes corses déclenchent contre l’occupant un soulèvement général. Le 13, les premiers détachements français débarquent à Ajaccio. Le 4 octobre suivant, c’est-à-dire trois semaines plus tard, la reconquête de l’île s’achève avec la prise de Bastia. La Corse sera le premier département français libéré de l’occupation ennemie du fait de l’action des résistants qui avaient pris le « maquis ». L’expression devait être adoptée par toute la Résistance : les « maquisards ».

En Corse, dès l’annonce de la chute de Mussolini, les maquisards piaffent d’impatience pour jeter hors de l’île les occupants. Le 8 septembre la nouvelle de l’armistice italien provoque une liesse générale qu’il est difficile de contrôler. Le commandant de gendarmerie, Colonna d’Istria, dit Cesari, responsable de la résistance en Corse, sait que sans l’aide extérieure les résistants ne peuvent venir à bout des forces de l’Axe. Cesari veut être fixé sur les intentions du général Magli qui commande les quatre divisions italiennes installées dans l’île. Le 8 au soir, il lui adresse un ultimatum : « Vous me direz, sans phrases, ce soir , avant minuit, si vous êtes avec nous, contre nous ou neutre. » La réponse arrive rapidement : « Avec vous. » Assuré de la non intervention des Italiens, Cesari donne, le 9 septembre, l’ordre d’insurrection générale contre les Allemands seulement. Les résistants procèdent alors à l’élimination de l’administration de Vichy et se rendent maître des services publics. Le 9 au soir, Cesari télégraphie à Alger pour rendre compte de la situation et demande des renforts d’urgence.

Après le bataillon de choc débarqué du sous-marin Casabianca et les Tabors débarqués des contre-torpilleurs Fantasque et Terrible, c’est au tour des éléments de la 4° Division Marocaine de prendre pied sur l’île, le 21 septembre, avec le 1ier Régiment de Tirailleurs Marocains, une partie du 4° Régiment de Spahis et un groupe du 69° Régiment d’Artillerie de montagne ; l’ensemble sous le commandement du général Louchet. La 4° Division Marocaine sera la première grande unité française à prendre part à une opération sur le sol français.

Pour forcer les positions allemandes, le général Louchet dispose d’un ensemble  de forces hétérogènes et, malgré une mise en place très progressive et sans attendre l’arrivée de toutes ses forces, le commandement français décide de brusquer les événements pour éviter le rembarquement des Allemands avec leurs matériels. Les blindés légers du 4° Spahis nettoieront le cap Corse et attaqueront Bastia par le Nord. Le 2° groupe de Tabors tentera de déborder et de forcer le col de Teghime, tandis que le 1ier R.T.M. attaquera le col de San-Stefano, l’ensemble avec l’appui des Italiens qui acceptent de remplir les obligations de la « cobelligérance » décidée le 21 septembre par le gouvernement Badoglio. Le général italien Magli met à la disposition des Français des éléments du génie et des transmissions ainsi que le 88° régiment d’infanterie placé sous commandement français. L’attaque débute le 30 septembre par un temps exécrable. Grâce à l’habilité des Tabors, passés maîtres dans le combat en montagne, les principales positions sont conquises et nos troupes contrôlent les cols de la dorsale corse. Les Allemands précipitent leur mouvement de repli et le rembarquement, se protègent désormais par des combats d’arrière-garde et des tirs d’artillerie.

Dans la matinée du 4 octobre, les premiers éléments français pénètrent dans Bastia. Malheureusement, vers 10 heures, au moment même où la population acclame les soldats, un terrible bombardement de l’aviation alliée s’abat sur la ville. Faute de liaison directe avec les Français, l’État-major allié ignorait le départ des Allemands. Malgré cet incident douloureux, globalement le bilan de l’opération est positif. Certes, les forces françaises n’ont pas réussi à empêcher le rembarquement des Allemands avec leurs matériels, mais le port de Bastia est presque intact et l’ennemi n’a pu détruire tous les dépôts de carburant et de vivres. L’opération a contribué à rendre confiance à la nouvelle armée française.

La Corse va être désormais un tremplin pour les opérations d’Italie et du Midi de la France. L’île sera un des porte-avions insubmersibles de la Méditerranée, les aérodromes passent de 3 à 17, l’Allemagne du Sud est dans le rayon d’action des bombardiers. Base navale, de Corse partent les vedettes rapides qui harcèlent les convois allemands entre Gènes et Civitavecchia. L’île est désormais le terrain de manœuvre de la 4°D.M.M., 100 000 hommes, Français et Alliés se préparent pour le débarquement de Provence. Les Corses participent largement à la libération du continent, outre les volontaires, 12 000 d’entre eux sont mobilisés.