JEANNE, 590 ANS APRÈS…

IL Y A 590 ANS, JEANNE D’ARC ÉTAIT BRÛLÉE VIVE À ROUEN.

Maison natale de Jeanne d’Arc, à Domrémy.

« Elle était la fille d’un pauvre laboureur, ne sachant ni lire ni écrire. Un jour, alors qu’elle gardait ses moutons, elle entendit des voix célestes. Celles-ci lui ont commandé d’aller voir le roi de France et de prendre la tête de son armée. Jeanne, simple bergère,  est alors allée à Chinon, où elle a révélé son secret au Dauphin. Puis, elle a libérer Orléans, conduit Charles à son sacre à Reims et bouté les Anglais hors de France. Mais elle fut ensuite trahie, capturée et vendue aux Anglais. Condamnée au bûcher, elle fut brûlée vive sur la Place du Vieux Marché à Rouen, le 30 mai 1431. Jeanne n’avait alors que 19 ans ».

Ceci est la version officielle, celle que l’on m’a apprise à l’école, mais ce n’est pas vraisemblable. Certes, Jeanne a bel et bien existé, de nombreux témoignages de l’époque  l’attestent. Tombée dans l’oubli pendant des siècles, elle fut « ressuscitée » en 1871 après la défaite de Napoléon III, face à la Prusse. La France avait besoin d’un symbole, d’une figure légendaire, rassembleur, et Jeanne, la petite bergère de Lorraine était toute désignée. Tout comme Vercingétorix, à la même époque, qu’on avait oublié depuis 18 siècles.

Jeanne naît vers 1412 Domrémy, elle va entrer dans l’Histoire au moment où la France subit les effets dévastateurs de la guerre de Cent ans. La date exacte de la naissance de Jeanne d’Arc reste incertaine, l’année 1412 est retenue par les historiens par recoupement. Il faut savoir que l’enregistrement des baptêmes et des sépultures ne sera demandé officiellement aux curés des paroisses qu’à partir de 1539.

Lorsqu’elle rejoint Charles VII en 1429, son âge exact n’a pas d’importance. Les contemporains de Jeanne la situent dans la tranche d’âge des puellae désignant à l’époque les jeunes filles pucelles, autrement dit les adolescentes pubères âgées de 13 à 18 ans. De là vient son surnom de « Pucelle ».

Johanna d’Arc dicta Puella (Jeanne d’Arc la Pucelle) figure dans le procès en nullité de sa condamnation.

Jeanne est la fille de Jacques d’Arc et d’Isabelle Rommée, une famille de cinq enfants, Jeanne, Jacquemin, Catherine, Jean et Pierre. Le père n’est pas le pauvre laboureur que l’on présente,  laboureur certes, mais il a quelques terres et des bêtes, sa maison est en pierre de taille, il avait comme on disait à l’époque : « un train de labour » (charrue). Jacques d’Arc avait une certaine notoriété, il a représenté plusieurs fois la communauté des villageois en temps que doyen (maire).

Le village de Domrémy, comme bien d’autres à cette époque, est partagé entre plusieurs autorités : il dépend religieusement du diocèse de Toul, qui relève du Saint Empire Romain Germanique, mais politiquement, il comporte deux parties ayant des statuts différents. La partie septentrionale de Domrémy relève de la châtellenie de Vaucouleurs, incorporée au royaume de France depuis 1365. La partie méridionale appartient à la portion du duché de Bar mouvant de la couronne de France depuis le traité de Bruges de 1301 qui reconnaît le duc de Bar comme vassal du roi de France. C’est dans cette partie méridionale que Jeanne est née. À quelques encablures près, elle n’était même pas Française.

Le duché de Bar, coincé entre le duché de Lorraine et le duché du Luxembourg.

C’est dans ce village que cette jeune paysanne va grandir. Elle fait les travaux de ménage de la maison, la cuisine, le filage de la laine et du chanvre, aide aux moissons et occasionnellement garde les animaux avec tous les enfants du village, comme le voulait la coutume. Activités loin du mythe de la bergère qui garde ses moutons et de l’imagerie populaire. Notez que le surnom de « Pucelle d’Orléans » est un surnom posthume employé à compter des années 1475-1480 avant de se répandre aux 16 et 17ème siècles. Par deux fois, la virginité de Jeanne est attestée, d’abord lors de la visite au roi Charles VII en 1429, ensuite, pendant son procès à Rouen. Dès l’âge de 13 ans, environ, elle fait vœu de garder sa virginité. Elle refusera aussi d’épouser un jeune homme que ses parents lui avaient présenté.

Cette plaque se trouve près de la cathédrale de Toul, elle rappelle l’événement. Ce procès matrimonial, que lui fit un jeune homme de Domrémy, le fils du dénommé Jean Biget, déclara au final que Jeanne d’Arc était libre de tout lien et engagement.

Jeanne a entendu les voix pour la première fois vers l’âge de 13 ans. Ces voix lui demandaient de libérer le royaume de France de l’envahisseur anglais. C’était, d’après Jeanne, les voix de Sainte Catherine, de Sainte Marguerite et de l’Archange Saint Michel. Il lui faudra plusieurs années pour être prise au sérieux.

… les voix …

(Sainte Catherine d’Alexandrie et saint Marguerite d’Antioche ont été rayées du martyrologe par le pape Jean XXIII dans les années 60 ???)

D’après l’histoire officielle, Jeanne voit pour la première fois, le 13 mai 1428, elle a 16 ans, le capitaine Robert de Baudricourt qui commande la garnison de Vaucouleurs. Elle lui demande de faire parvenir un message au « gentil dauphin ». Le message dit que le dauphin ne doit pas engager de batailles contre les Anglais, car il recevra une aide de Dieu avant qu’il ne soit écoulé une année. Baudricourt l’éconduit. Jeanne revient à Vaucouleurs en février 1429 et cette fois, Baudricourt l’écoute favorablement et lui fournit une escorte. Deux chevaliers lorrains vont l’accompagner, Jean de Novellempont (ou de Metz) et Bertrand de Poulangy, accompagnés de leurs écuyers, et Jean de Dieulouard, l’écuyer de René d’Anjou, ainsi qu’un archer écossais nommé Richard et, surprise, Collet de Vienne, messager du dauphin pour guider Jeanne jusqu’à Chinon. Ce qui tend à penser que ce n’était pas improvisé comme le prétend la légende, mais organisé de longue date. Le voyage de Vaucouleurs à Chinon dura onze jours.

Charles VII avait de quoi être inquiet, il suffit de regarder la carte ci-dessus. Entre les Anglais et leur prétention au trône de France, et les Bourguignons, Charles VII attendait un signe du ciel.

Selon certains documents, Jeanne aurait été reçu immédiatement à la cour. Selon d’autres, la rencontre se fera quelques jours après son arrivée à Chinon. Il est impossible de savoir où se situe la vérité historique. Le roi dépêche le duc Louis de Bourbon pour la guider vers lui. Selon la légende, Jeanne arrive dans la salle du trône, le roi se dissimile parmi les courtisans et laisse sa place sur le trône au comte de Clermont. Mais Jeanne, sans hésiter, se dirige vers le « gentil dauphin » qu’elle n’avait pourtant jamais rencontré.

Après s’être présenté et donné la raison de sa présence, elle demande au roi de s’écarter de ses courtisans et ensemble ils se dirigent vers le fond de la pièce. Nul ne sait ce qu’ils se sont dit, mais le roi ressort de cette conversation avec un visage rayonnant. Cependant, par prudence, Charles fait examiner Jeanne par des matrones si sa virginité est intacte, puis la présente à des théologiens qui la questionnent.

Le roi fit confectionner une armure pour Jeanne, lui donna une garde de quelques hommes, puis l’autorisa à se joindre au convoi destiné à secourir Orléans. Entre temps, Jeanne a fait confectionner un étendard avec des fleurs de lys et des mots brodés « Jhesus Maria ».

La bannière de Jeanne d’Arc

Il lui manquait une épée. « Allez à Sainte-Catherine de Fierbois, dit-elle, dans la chapelle du pèlerinage. Vous creuserez derrière l’autel, vous enlèverez une dalle, des pierres, et à peu de profondeur, vous trouverez l’épée qu’il me faut ».

Et l’on trouva une grande épée à la garde marquée de cinq petites croix. La tradition affirme que cette épée était celle de Charles Martel.

Orléans est au bord de la reddition, les vivres manquent et les habitants sont épuisés. Le duc Charles d’Orléans avait été fait prisonnier après Azincourt, et c’est son demi-frère Jean, dit Dunois (futur compagnon de Jeanne) qui défend la ville avec beaucoup de courage. Jeanne entre secrètement dans la ville pour y rencontrer Dunois. Elle le somme de faire une sortie et de passer à l’offensive. Dunois préfère attendre des renforts. Alors, Jeanne prend les choses en main, il faut attaquer les deux bastides que les Anglais tiennent dans la région. Jeanne se charge de la bastide des Augustins, la garnison la suit et c’est un succès. Le soir même, au conseil de guerre, Dunois veut en rester là, mais Jeanne refuse.

Entrée de Jeanne d’Arc à Orléans par Jean-Jacques Scherrer (1887)

Elle ameute troupes et populations qui se préparent toute la nuit. Le lendemain matin, c’est l’assaut. Les pertes sont sévères, Jeanne est touchée par un carreau d’arbalète au-dessus du sein. La blessure est superficielle et elle retourne au combat et galvanise les troupes. Les Anglais paniquent et se jettent dans la Loire. Nous sommes le 8 mai 1429, Orléans est sauvée. Libératrice de la ville, Jeanne y gagnera le surnom de « Pucelle d’Orléans » dans les récits historiques, quelques années plus tard.

Jeanne va aussi gagner la confiance et le dévouement de grands hommes de guerre. Le duc d’Alençon, Dunois, La Hire, Gilles de Rais, le connétable Richement, le page Louis Coutes et l’écuyer Jean d’Aulon, son ami le plus intime.  Et bien sûr, les premiers compagnons Robert de Baudricourt, Jean de Metz et Bertrand de Poulangy qui l’avaient escorté de Vaucouleurs à Chinon.

Après la prise d’Orléans, deux possibilités se présentaient ; attaquer Paris ou aller à Reims pour sacrer le roi, comme le souhaitait Jeanne. Le dauphin va se rallier aux souhaits de Jeanne bien que le pari soit risqué. Reims est cernée par les Anglais et les Bourguignons. Une bataille décisive a lieu à Patay, face aux Anglais de John Talbot qui venait d’être chassé d’Orléans. La charge française est irrésistible, les Anglais laissent 2 000 morts sur le terrain et Talbot est prisonnier. Puis, sur la route de Reims, les Français libèrent Auxerre, Troyes et Châlons. Le dauphin peut enfin faire son entrée dans la cathédrale de Reims pour y recevoir le Saint Chrême. Jeanne est à ses côtés avec sa bannière.

Le régent anglais, le duc de Bedford, réagit en faisant sacrer le jeune Henri VI à Notre-Dame de Paris, mais sans la Sainte Ampoule qui valide le rituel du sacre. Ce couronnement n’a donc aucune signification.

Il n’y a plus qu’un seul roi de France, l’héritier des Valois, Charles VII. La mission divine de Jeanne est donc un succès, en quelques mois la victoire a changé de camp.

Le sacre de Charles VII à Reims, le 17 juillet 1429.

Après le sacre, Jeanne se dirige vers Paris, mais les Parisiens ont pu se préparer à son arrivée car, entre-temps, Charles VII va négocier une trêve avec Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Jeanne va alors tenter de secourir Compiègne assiégée par les Bourguignons. Au court de cette action, elle est faite prisonnière le 24 mai 1430.

La capture de Jeanne

Jeanne d’Arc avait réalisé la mission des voix célestes, délivrer Orléans et faire sacrer le roi. Mais emportée par ses succès, elle veut en finir avec les Anglais. Toutefois, Charles VII commence à tenir l’héroïne à l’écart. Celle-ci lève avec ses propres deniers une troupe de 400 mercenaires pour porter secours aux habitants de Compiègne. À la faveur de la nuit, elle entre dans la ville. Le lendemain matin elle tente une sortie avec sa troupe, elle est faite prisonnière.

Jean de Luxembourg la transfère dans son château de Beaurevoir, en Picardie, sous bonne garde. Les Anglais font pression pour avoir la captive et rachètent Jeanne pour 10 000 livres (soit un peu plus de 1.300.000 euros d’aujourd’hui). Pendant ce temps, Charles VII, peu conscient de l’enjeu, ne fait aucun geste en faveur de celle qui l’a fait monter sur le trône. De plus, Georges de la Trémoille, hostile à la Pucelle, dissuade le roi de proposer une rançon.

Le procès de Jeanne va commencer.

Amenée à Rouen, ville occupée par les Anglais depuis dix ans, Jeanne va être jugée par des religieux sous la direction de l’évêque de Beauvais Pierre Cauchon. Le procès débute le 20 février 1421. Les chefs d’accusation sont nombreux ; elle porte des vêtements masculins, elle prophétise, elle entend des voix divines… L’acte d’accusation est soumis à l’Université de Paris qui la déclare hérétique le 23 février. Jeanne, qui avait tenu tête courageusement jusque-là à ses juges, va flancher. Elle va abjurer ses fautes, évitant ainsi la peine capitale.

L’histoire de Jeanne d’Arc n’aurait pas été la même si elle n’avait pas repris des habits d’homme quelques jours plus tard. En fait, il semblerait que ses geôliers avaient subtilisé ses vêtements féminins et pour se vêtir, elle n’avait que des vêtements d’homme. De plus, elle réaffirme sa mission divine. Relapse, la sentence tombe : Jeanne est condamnée au bûcher, condamnation aussi religieuse que politique car cela permet aux Anglais et aux Bourguignons de porter atteinte à la légitimité de Charles VII.

Le 30 mai 1431, Jeanne est brûlée vive sur la Place du Vieux Marché à Rouen, elle a 19 ans. Elle n’aura pas le privilège d’être étranglée avant de monter sur le bûcher et va trouver une mort horrible dans les flammes. Alors qu’elle avait permis à Charles d’être sacré roi de France légitime, il ne fera rien pour la sauver.

Le bûcher Place du Vieux Marché à Rouen.

On imagine depuis très longtemps que Jeanne d’Arc est la sainte patronne de notre pays. En réalité, sa sainteté date du début du 20ème siècle. Cette démarche a été enclenchée en 1874 par l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup. En 1909, sa béatification est l’occasion pour l’église de rappeler que le destin de la France est uni à celui de l’église. Jeanne sera sanctifiée en 1920, soit près de 500 ans après sa mort.