MA DERNIÈRE OPEX

OPÉRATION MANTA TCHAD du 06.12.83 au 09.04.84

 insigne opex manta

5 juillet 1983 ; Je débarque à Paris après un séjour de deux ans au R.S.M.A. de Guyane. Le soleil, ça fait du bien. Pour ceux qui ne sont pas au courant ; il y a deux saisons en Guyane : la grande saison des petites pluies et la petite saison des grandes pluies. Trois mois de C.F.C. (congés de fin de campagne) pour me retaper et en attendant ma future affectation.

Une location en Corrèze fera notre affaire, Saint Clément, près du Lac de Bournazel… Tiens, tiens, un nom bien connu dans la coloniale. La famille s’installe. Mais comme souvent dans ce métier, les congés, c’est pour plus tard. En effet, je suis affecté au 21ème R.I.Ma de Fréjus qui doit partir en intervention. Je suis donc rappelé un mois avant le terme de mes congés pour préparer le départ. En arrivant au régiment, le chef de corps me propose deux solutions ; chef d’atelier régimentaire ou chef d’atelier du 2A de la C.E.A. En clair ; chef d’atelier dans la compagnie d’éclairage et d’appui. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’atelier régimentaire restait à Fréjus et que la C.E.A. allait partir pour le Tchad.

Le Tchad, pays de connaissance. J’ai fait un séjour 1969/1970 à la 6ème C.P.I.Ma ; Durant  ce séjour, j’ai perdu 18 de mes camarades au combat et plus de 40 ont été blessé. Des images traversent ma tête…Le 6 décembre 1983, nous embarquons à Istres, direction N’Djaména ; entre temps, dans le cadre de la campagne « d’authenticité » (c’est le terme officiel) du gouvernement tchadien, les noms ont changé. Fort Lamy est devenue N’Djaména, Fort Archambault est devenu Sarh, Largeau devient Faya-Largeau ; c’est justice envers l’homme qui a donné naissance à ce pays. Mais qu’allons-nous faire là-bas ?

Petit point politique. En 1982, Goukouni Ouedeye a été mis sur la touche par Hissène Habré. L’évincé demande l’aide de Kadhafi et Hissène Habré, le nouveau maître, demande l’aide de la France. Je m’interdis de me poser des questions. Lors de mon premier séjour au Tchad, le président François Tombalbaye a fait la même chose, nous étions intervenus contre un rebelle du nom d’Hissène Habré. Ah bon ! Ben oui ! Goukouni, avec l’aide de Kadhafi, veut piquer une pointe vers le Sud, vers Faya-Largeau en fait. Les mouvements logistiques démarrent avec l’aide de Kadhafi. Le 30 juin, Largeau tombe aux mains de Goukouni ; de fait, Hissène Habré perd le contrôle du Nord du Tchad. À l’est, Abéché, tombe le 8 juillet mais est repris le 21, ainsi que Biltine. Hissène Habré fonce vers le Nord et pénètre dans la palmeraie de Faya-Largeau. Les Mig 21 et 23 entrent en action et bombardent les vainqueurs. Le 31 juillet, le président tchadien lance un appel d’urgence à la France. Et voilà le travail.

Le 7 décembre 1983, au matin, nous débarquons de nos avions Air France, en civil, et nous voici sur le tarmac pour nous mettre en tenue de combat. Comme sur la pub d’Air France, nous allons vraiment changer de piste. De mon précédent séjour, j’avais le souvenir de la popote de l’armée de l’air qui se trouvait juste en face de l’endroit où j’enfilais ma tenue « cam », je fais une petite reconnaissance…Oui, la popote est toujours là, mais c’est l’armée tchadienne qui « gère ». Tant pis pour la « gala » cette bière tchadienne à base de mil que j’aimais bien.

Salal

 Pour Salal, c’est gratuit.

Transport par Transal pour rejoindre Moussoro, notre base. Plus nous progressons vers le Nord, moins de végétation et plus de poussière. Nous arrivons dans une des régions les plus désolée du monde. J’avais lu quelque part qu’un navigateur français du XVIIème siècle en arrivant sur la côte qu’est Djibouti aujourd’hui, disait : « Rien…, désolant…, je n’ai vu qu’un chacal famélique qui s’abritait derrière un maigre épineux ». Ici, même pas un épineux, même pas un chacal.

moussoro 1

 D’où viennent-elles ? Où vont-elles ?

Moussoro, à mi-chemin entre N’Djaména et le 16° parallèle, c’est l’axe Ouest que doit contrôler le régiment ; nom de code : «oscar». L’axe Est, dont la base est à Abéché ; nom de code «écho» est sous le contrôle de nos camarades du 3ème R.I.Ma.

opex manta 21ème

Sur la carte de vœux, le 16° parallèle. Moussoro, soulignée en rouge. Salal au-dessus de Moussoro.

  moussoro tarmac

Sur le tarmac à l’aéroport de D’Jaména. Changement de tenue.

C’est reparti pour un tour, nous arrivons pour la première relève de Manta. Dans ma tête, des souvenirs, bons et moins bons se croisent. La dernière fois que j’ai mis les pieds sur ce tarmac, c’était en 1970. Je revenais d’une opération sur Zouar, là-haut dans le Nord. C’était suite à l’embuscade de Bedo du 11 octobre 1970, où nous avons perdu 12 des nôtres et autant de blessés. Affaire dont personne ne parlait en France à l’époque. A mon retour en Métropole, je me rappelle que quelqu’un m’avait demandé si j’avais fait un bon séjour ??? C’est particulièrement désagréable ce sentiment de «soldat oublié». Tellement oublié qu’en nous a remis la médaille outre-mer avec agrafe Tchad…10 ans après les faits.

Déplacement, prise en compte des matériels, installation…Tout se fait à la vitesse de l’éclair et le premier détachement se prépare déjà pour la relève de Salal.

 moussoro log

           Convoi « log » en formation                                        SAADA (section anti-aérienne)

moussoro l'arbre

 De l’ombre S.V.P. 

Salal, petit coin habité au milieu de rien. C’est le poste avancé de l’axe Moussoro-Koro-Toro, sur le 15° parallèle. Un ancien fortin, quelques femmes et des enfants, un vieux marabout et pas un homme. Tous sont à la guerre ; au Nord ? au Sud ? Notre mission est principalement l’observation et le renseignement, donner l’alerte et serrer les fesses en attendant les secours. J’ai eu le «plaisir» de faire quatre périodes Salal, un de plus que prévu à cause d’un vent de sable qui n’en finissait plus.

moussoro-popote PCL’ADC Heim au PC de Salal                                      Le confort de la popote de Salal

NOËL 1983

Il y a quelques jours, c’était l’anniversaire de ma fille ; quand elle est venue au monde, sa naissance fut annonçée dans l’ordre du jour au rassemblement du matin, en 1969. Au Tchad depuis un mois, je ne la verrai pour la première fois qu’un an plus tard. Pour l’heure j’ai fait d’autres rencontres. Le général Poli, notre chef dit «Joli thorax», est venu nous rendre visite. J’ai revu avec grand plaisir mon vieux camarade Bogdan Zdybicki, en liaison depuis l’axe Abéché, nous avions fait nos «classes» ensemble à Bayonne au 1er R.P.I.Ma. J’ai vu aussi le chef des FANT (forces armées nationales du Tchad) Idriss Debbi, un seigneur de la guerre, devenu depuis Président. Il était protégé par quelques guerriers enturbannés, avec des Ray Ban et avec des kalachs. Et puis ! A la grande surprise de tous, un Transal nous apporte un repas amélioré pour le réveillon et du champagne offert par…

 moussoro champagne

 Une bouteille pour 4 ; et avec modération…ça fait 5

Je m’autorise à me poser une question. Moussoro, Salal, avec de gros problèmes de ravitaillement en eau. Il est donc plus facile de faire venir du champagne de France que… « De la discipline nom de D…de la discipline».

25 janvier 1984  Nous sommes en fin d’après-midi. Alerte ! Une info fuse à travers le camp de Moussoro. Le match de volley entre Français et Zaïrois s’interrompt. Un Jaguar français vient de se faire abattre. Avant même que les ordres arrivent, chacun rejoint son bâtiment et se prépare à un départ. La vie du camp change immédiatement de visage, chacun sait ce qu’il a à faire. Les ordres arrivent… Réunion et briefing. Nouvelles info, le jaguar a été descendu par un sol-air tiré depuis une colonne de véhicules libyens, du côté de Ziguey. Bien que la journée s’achève, l’ordre est donné de faire mouvement. Des éléments de la 2ème Cie partent accompagnés par la section de reconnaissance de la C.E.A. J’ai ordre de faire mouvement. Je fais charger eau, carburant, pièces de rechanges, vivres dans 3 véhicules différents, c’est trop lent au goût de mon capitaine qui part avec ses troupes sans moi et son soutien logistique. Dans ma tête, je trouve ridicule de rouler de nuit dans une zone désertique. Effectivement, en partant le lendemain matin avec des éléments de la C.C.S je suis arrivé à Ziguey sans trop de problème. Entre temps, un vent de sable avait freiné toute progression. Avec le vent de sable, pas de ravitaillement possible par hélico (les turbines n’aiment pas le sable). J’avais bien du sable dans les yeux, mais j’ai pu ravitailler mon unité.

  jaguar zigueï

C’est bientôt la fin de notre mission, dans 2 jours les Transals feront leurs rotations vers D’Jaména avec notre fatigue de quatre mois et nos tenues usées par le soleil et le sable. Une nouvelle arrive, Il y des morts au 17ème R.G.P., ils sont au nombre de 6. De retour en France, nous apprendront que le bilan était plus lourd ; 9 sont mort dans l’explosion d’un obus.

 moussoro fin de mission

 L’ADC Heim. Fin de mission