LA SIRÈNE DU CANAL DU MIDI

Les sirènes ont été les héroïnes de nombreuses légendes et d’innombrables contes, en Scandinavie, dans la Grèce antique et même au Japon. Figurez-vous que même en France, dans l’Aude, on raconte une histoire sur la fameuse sirène du Canal du Midi.

Mais faisons d’abord un petit voyage dans le temps. Selon la légende la plus répandue, les sirènes étaient d’abord représentées en oiseaux à tête humaine. Elles charmaient les hommes pour les entraîner vers leur repaire où l’on trouvait des ossements de leurs victimes et des lambeaux de chairs en décomposition. En général, elles étaient par trois, l’une jouait de la lyre, l’autre de la flute et la troisième chantait.

Plus tard, au Moyen Age, elles furent représentées en femmes à queue de poissons.

D’après les récits de l’Odyssée d’Homère, il s’agissait de divinités de la mer, postées à l’entrée du détroit de Sicile, sur une île située entre l’île d’Aca et celle des monstres Charybde et Scylla. Par leurs chants au charme irrésistible, elles attiraient les marins et les entraînaient vers la mort.

Ulysse et les sirènes est une des aventures de l’Odyssée. Ulysse et ses compagnons revenaient de l’île des Morts et s’apprêtaient à aller vers le royaume des sirènes. Circé les avait prévenu : « Faites attention, vous allez rencontrer des sirènes. Si vous écoutez leur chant, elles vous attirent vers elles et vous mourrez en vous écrasant sur les rochers ». Puis, en s’adressant à Ulysse : « Tu ne peux écouter ce chant qu’à une condition. Tu devras préparer des boules de cire pour les mettre dans les oreilles de tes compagnons pour éviter qu’ils entendent les sirènes. Ils devront t’attacher au mât du bateau, et quand tu supplieras tes compagnons de te détacher, ils devront resserrer tes liens ».

Ceci fut fait. Ulysse et ses hommes arrivent au royaume des Sirènes. Celles-ci chantent d’une voix mélancolique : « Viens donc par ici Ulysse, arrête ton bateau et viens nous rejoindre ». Ulysse supplie ses compagnons de le détacher, mais tous résistent. Petit à petit, le bateau s’éloigne du danger mortel et du royaume des Sirènes.

Selon les dires d’un oracle, les sirènes, si elles laissaient échapper un navire, elles devaient se précipiter dans la mer et disparaître à jamais. L’aventure est pourtant arrivée deux fois. Une première fois, ce fut Orphée dont la voix eut plus de puissance que la leur. Il sauva son navire l’Argo, et son équipage. La seconde fois, ce fut Ulysse grâce aux conseils de Circé. Les sirènes se jetèrent à la mer du haut des rochers vers les profondeurs des abysses pour disparaître.

Cet épisode est à l’origine d’expressions que nous utilisons de nos jours « céder au chant des sirènes » ou « écouter le chant des sirènes », qui veux dire se laisser tenter par un discours trompeur et dangereux.

Un conteur célèbre nous a laissé de magnifiques histoires, Hans Christian Anderson (1805-1875) dont La petite Sirène. L’histoire raconte qu’une jeune sirène, créature marine au corps de femme et à la queue de poisson, qui tombe amoureuse d’un prince humain, et qui va essayer de devenir humaine pour vivre à ses côtés.

La petite sirène vit dans un royaume sous la mer avec son père, sa grand-mère et ses cinq sœurs. À leur quinzième anniversaire les sirènes ont le droit de passer à la surface pour observer les humains. Ce jour-là, justement, la petite sirène assiste à un naufrage pendant une tempête. Un prince qui était sur le navire est à deux doigts de se noyer, mais la petite sirène va le sauver et le ramène sur le rivage. Mais elle replonge dans la mer à l’approche d’une jeune femme. Le prince à son réveil voit cette jeune femme et pense que c’est elle qui l’a sauvé. Pour séduire le prince, la sirène va voir la sorcière de la mer qui lui propose d’échanger sa voix contre des jambes. Mais la sorcière l’avertit : « Tu vas mourir si le prince en épouse une autre ». Une fois hors de l’eau, elle boit la potion de la sorcière et  sa queue de poisson se transforme en jambes comme pour les humains. Elle va retrouver le prince qui a toujours en tête la jeune femme qu’il prend pour celle qui l’a sauvé. La petite sirène ne parvient qu’à tisser des liens d’amitié avec le prince. Lorsque le prince retrouve celle qu’il prend pour sa sauveuse, il en tombe amoureux, et le mariage va se faire sur un navire. La petite sirène voit à ce moment-là ses sœurs qui lui tendent un couteau, elles lui disent : « Si tu tue le prince, tu retrouveras ta queue de poisson et tu vivras ». Trop amoureuse, la petite sirène n’y parvient pas. Elle se jette alors dans la mer pour mourir. Mais au lieu de couler, elle s’élève dans le ciel pour devenir une fille de l’air.

Magnifiques légendes, mais qu’en est-il de la sirène du Canal du Midi ?

On n’a jamais su comment elle était arrivée là. Aperçu en plusieurs endroits depuis l’époque de la construction du Canal, c’est à qui raconte la plus belle rencontre. Généralement, c’est entre le Somail et le petit port d’Homps que la plupart des témoins auraient vu la fameuse sirène. Mais beaucoup se demande comment elle fait pour passer les écluses, dans un sens comme dans l’autre. Comment se nourrit-t-elle ? Nous savons que les moules du Canal du Midi sont très apprécié par les riverains du canal, mais ceci semble insuffisant pour se nourrir.

Le Canal du Midi, autrefois appelé Canal royal du Languedoc, est long de 241 km, il relie Toulouse à Sète, (autrefois appelé Cette ou Montmorencette). Le canal compte 63 écluses, dont les célèbres 9 écluses de Fonseranes, près de Béziers, et 7 ponts-canaux. Ouvert à la navigation en 1681, pendant très longtemps, les gabares faisaient les allers-retours avec leur cargaison de tonneaux de vin. On pouvait voir les femmes sur les chemins de halage, tirer les gabares, les chevaux parfois.

Sur les plus grandes gabares, qui faisaient 20 m de long, les familles vivaient sur le bateau, femmes et enfants partageaient un petit espace aménagé à l’avant. C’était un métier dangereux et les bateliers étaient très fiers, ils disaient même : « Si vilain sur terre, seigneur sur l’eau je suis ».

C’était souvent les femmes qui tiraient le bateau, les hommes restaient à bord pour compenser la traction à l’aide d’une grande perche. Le halage à col d’homme, c’était le terme consacré de part cette bande de tissu qui entourait l’épaule. Un écrivain de l’époque avait noté ce travail surhumain : « Ils tractaient tête baissée, le regard vide, les épaules labourées par la bande de tissu de la bricole. Ils halaient, les dents serrées sur leur fatigue, gesticulant sans cesse pour tenter de chasser les mouches nombreuses qui voltigeaient sur le chemin de halage… ».

Ceci nous amène à notre histoire, car un jour …

Au retour de Béziers, « la Jeannette » revenait vers son port d’attache, le petit port d’Homps. Le voyage avait été rentable puisqu’à l’aller, il avait livré un chargement de tonneaux vides et neufs qu’il avait été cherché à Trèbes l’avant-veille, réputé pour la qualité du travail de ses artisans tonneliers qui confectionnent des fûts en bois. Le coup de main et le coup d’œil feront la bonne barrique qui permettra le vieillissement du vin.  C’était une drôle de vie, à mi-chemin entre le marin et le nomade, une vie au ralenti sur le calme plat des canaux et des rivières. L’éloge de la lenteur.

TONNELIER RESSERRANT LES CORDAGES D’UN FÛT

Pour le retour, Jeannot avait le plein de bois destiné aux cheminées des habitants du coin. C’était un revenu supplémentaire non négligeable, car ce n’était pas le cas à chaque voyage. Le seul souci à cette époque de l’année était de revenir assez tôt pour éviter de rester coincé entre deux écluses au moment du dragage du canal. C’était alors le domaine de la marie-salope et la navigation était interdite. Pendant les périodes creuses, Jeannot avait une petite demeure et un lopin de terre qu’il exploitait en morte-saison.

Le voici donc sur le canal avec sa petite famille et son chargement. Le temps était au beau, pas trop de vent, vent marin qui poussait légèrement la gabare et qui soulageait l’effort du halage à col d’homme. Avec sa femme, Mauricette, il avait eu deux enfants, deux garçons, Jean l’aîné avait huit ans et le petit dernier, Sébastien, venait d’avoir cinq ans. Arrivée à hauteur du Somail, les deux garçons s’amusaient sur l’embarcation à courir, à se cacher … quand subitement le petit Sébastien tombe à l’eau. Les cris de l’aîné alerte le père, la mère se défait de son harnachement, la gabare heurte la rive pour s’arrêter plus rapidement.  Les yeux de Jeannot scrutent la surface de l’eau quand soudain il voit apparaître la tête de son fils et la tête d’une jeune femme. Ils s’approchent de la rive. La jeune femme hisse Sébastien sur la terre ferme et à l’approche de Mauricette, elle plonge vers le fond du canal. À la grande surprise de la maman, en se retournant pour plonger, la jeune femme qui vient de sauver le petit garçon, laisse apparaître une énorme queue de poisson. Jeannot à également assisté à la scène, bouche bée, les yeux écarquillés. Ils sont tellement surpris qu’ils en oublient le petit garçon un long instant. Il a bu la tasse, mais pas trop, il pleure à chaude larmes, mais c’est surtout par la frayeur qu’il vient de subir. Le réconfort de la mère le calme rapidement.

Le père est furieux, il leur a dit cent fois de ne pas courir sur le bateau. Jean, l’aîné se sent un peu coupable, il a la tête basse et a eu la peur de sa vie. Le calme est revenu et les parents hésitent à parler de ce qu’ils venaient de voir. Au bout d’un moment, Jeannot raconte à sa femme ce qu’il avait vu. Mauricette confirme. Ils réalisent que si cette histoire se raconte autour d’eux, on va les prendre pour des fous. Une jeune femme avec une queue de poisson, il n’y a que dans les contes pour enfant que des choses comme cela existe. Pourtant …

Longtemps après cette aventure, c’était en morte-saison, Jeannot qui s’était laissé aller à la dégustation du vin nouveau, raconte l’histoire à un voisin, artiste peintre de son état, qui venait régulièrement lui rendre visite. Les deux hommes s’étaient liés d’amitié, et il est arrivé que Jeannot l’invite à bord pour un voyage. Pendant que notre batelier narrait son histoire, l’artiste avait sorti son calepin à dessin et reproduisait sur le papier les détails du sauvetage de Sébastien. Jeannot en était encore tout secoué, sa voix devenait chevrotante au fur et à mesure de la narration de l’histoire.

L’artiste avait terminé son dessin. Jeannot ne parlait plus, il était dans le monde des choses bizarres. C’est l’artiste qui va rompre le silence : « Mon cher ami, ce que tu me racontes-là ressemble étrangement aux histoires de sirènes ». Jeannot, dont la culture était limitée dans ce domaine, reprenait un peu ses esprits et posa plein de questions. Alors l’artiste lui montra son dessin.

« C’est bien ça… à part les flots démontés » lui dit Jeannot. L’artiste lui expliqua qu’au Japon on affirme avoir un squelette de sirène et que ce n’était peut être pas qu’une légende.

Le pauvre Jeannot était complètement désorienté, tout cela était trop compliqué pour sa petite cervelle. Mais, au fond de lui, il sera toujours reconnaissant à cet être, mythe ou réalité, d’avoir sauvé son enfant.