Il fut « timbré », « billeté », honoré et statufié de son vivant. Il eut la gloire des vainqueurs, mais en fait ce n’était qu’un chef d’entreprise. Un entrepreneur qui sut s’entourer d’ingénieurs de talent et d’architectes aux sommets des techniques nouvelles.
Gustave Bönickhausen a substitué à son patronyme d’origine le nom d’Eiffel, par le tribunal de première instance de Dijon en date du 15 décembre 1880. Ce nom, il le devait à un de ses ancêtres allemands, qui s’installa à Paris au XVIII° s. Les Français arrivaient difficilement à prononcer son nom ; alors il décida de se nommer « Eiffel » tout simplement parce qu’il venait d’une région allemande, l’Eifel.
Nous sommes en 1889. Pour le centenaire de la révolution française, la France organise une Exposition Universelle. Un grand concours est lancé dans le journal officiel. Le pari est « d’étudier la possibilité d’élever sur le Champ-de-Mars une tour de fer, à base carrée, de 125 mètres de côté et de 300 mètres de hauteur ». Parmi les 107 projets présentés, celui de l’entrepreneur Gustave Eiffel, Maurice Koechlin et Emile Nouguier, ingénieurs et Stefen Sauvestre, architecte qui est retenu.
Maurice Koechlin
Stefen Sauvestre
Mais qui sont ces illustres inconnus ?
Maurice Koechlin (1856-1946)
Il est né à Buhl le 8 mars 1856, il épouse une suissesse, Emma Rosier, avec qui il eut six enfants.
Il fait ses études au lycée de Mulhouse, puis au Polytechnikum de Zurich. Il est ensuite ingénieur à la Compagnie des chemins de fer de l’Est.
Le 1ier novembre 1879, il est embauché par Gustave Eiffel, comme chef de bureau d’études d’une entreprise de constructions métalliques et de Travaux publics. La notoriété de l’entreprise Eiffel est alors indiscutable. Maurice Koechlin participe à la construction du viaduc ferroviaire de Garabit, sur la Truyère, achevé en 1882. Il réalise le projet et les calculs de l’ossature intérieure de la statue monumentale « La Liberté éclairant le monde » du sculpteur Bartholdi, destinée au port de New York. L’entreprise Eiffel réalisera l’ossature métallique (Tiens, tiens. Ce n’est donc pas Eiffel lui-même, mais son entreprise)
En 1884, lorsque fut décidé la Grande Exposition Universelle de 1889 de Paris, Maurice Koechlin et son collègue des Etablissements Eiffel, Emile Nouguier, ont l’idée de construire au centre de l’Exposition, une tour métallique très haute, destinée, comme le dit l’intéressé : « à donner de l’attrait à l’Exposition ».
Un avant-projet est alors réalisé par Maurice Koechlin, calculs et croquis sont soumis à Gustave Eiffel qui déclare ne pas s’y intéresser. Il autorise néanmoins les deux ingénieurs à poursuivre leurs études sur le sujet. Les deux compères font appel à la collaboration d’un architecte (Stefen Sauvestre) pour en faire les dessins à grande échelle, et au sculpteur Bartholdi. Le Commissaire général de l’Exposition des Arts Décoratifs accepte d’exposer les dessins de la tour à la commission qui doit se tenir à l’automne 1884. Les deux ingénieurs jugent bon d’en informer leur patron, Gustave Eiffel, revient alors sur sa décision antérieure et s’associe au projet. Ce dernier s’empresse de mettre en avant son nom avant celui de ses collaborateurs, sur une demande de brevet d’invention déposée en 1884 : « Brevet pour une disposition nouvelle permettant de construire des piles et des pylônes métalliques d’une hauteur pouvant dépasser 300 mètres ». Eiffel passe ensuite avec ses ingénieurs, un contrat dont les dispositions peuvent se résumer comme suit : « …MM. Maurice Koechlin et Emile Nouguier s’engagent à céder à M. Gustave Eiffel la propriété exclusive du brevet susdit et déclarent être prêts à lui faire cession de tous leurs droits sans aucune restriction ni réserve, et à réaliser cette promesse sous la forme que G. Eiffel jugera convenable et au moment qu’il choisira. Ils le laisse aussi complètement libre de prendre lui-même brevet à l’étranger, en son nom personnel et s’engagent à lui prêter leur concours dans ce but s’il était nécessaire. En outre, MM. E. Nouguier et M. Maurice Koechlin cèdent à M. G. Eiffel leurs parts de propriété sur le projet exposé. En contrepartie, G. Eiffel prend à sa charge les frais entraînés par le brevet et s’engage, si la tour est réalisée, même avec des modifications, à verser à chacun d’eux une prime de 1% des sommes qui lui seront payées pour les diverses parties de la construction. Il s’engage enfin, à citer toujours les noms de ces Messieurs chaque fois qu’il y aura lieu de les mentionner, soit le brevet, soit l’avant projet actuel ».
C’est ainsi que l’on entre dans l’Histoire.
L’avant projet de Koechlin-Nouguier.
Le 8 janvier 1887, signature d’une convention entre G. Eiffel et Eugène Poubelle, Préfet de la Seine et représentant de la Ville de Paris. Eiffel s’engage à livrer la construction pour l’ouverture de l’Exposition Universelle avec 1 500 000 francs de subventions.
Le 28 janvier 1887, G. Eiffel lance sur le Champs de Mars, à Paris, la construction d’une tour de fer de 300 mètres de hauteur. Les travaux vont durer deux ans.
Emile Nouguier (1840-1898)
Il étudia à l’Ecole Polytechnique de 1859 à 1861, puis à L’Ecole nationale supérieure des mines de Paris (1862-1865). Il travailla d’abord pour Ernest Goüin et Cie (devenue par la suite la Société de Construction des Batignolles, où il participa à la construction :
– Du Palais de l’Exposition Universelle de Paris de 1867.
– Du pont sur la rue Brémontier à Paris 17°.
– Du pont de Rybinsk sur la Volga.
– Du pont Margit hid à Budapest sur le Danube.
Passé au service de la société de Gustave Eiffel, il dirigea la construction du viaduc de Garabit (1887-1889). C’est en 1884 qu’Emile Nouguier et Maurice Koechlin, les deux principaux ingénieurs de l’entreprise Eiffel, ont l’idée de construire un édifice relativement haut. Ils font les premiers calculs et font appel à l’architecte Stefen Sauvestre qui redessine la tour afin de lui donner un aspect plus harmonieux que celui du dessin initial. Devant le succès obtenu par le projet, G. Eiffel propose aux deux ingénieurs le rachat du brevet et arrive à convaincre Edouard Lockroy, ministre du Commerce et de l’Industrie, de lancer un concours pour la construction d’une tour de 300 mètres en vue de l’Exposition Universelle de 1889.
En 1893, il démissionna de la Sté Eiffel pour racheter le bureau d’études Joly à Argenteuil en Seine et Oise. Avec des projets nombreux comme :
– Le pont de Tourville et pont d’Oissel franchissant la Seine pour la ligne Paris-Saint-Lazare ay Haver.
– Le pont Faidherbe sur le fleuve Sénégal.
– Le pont de Dessouk franchissant le Nil.
– Les ponts routiers de La Chapelle et de la rue Jessaint à Paris.
– Le pont Lépine au-dessus des voies de la gare du Nord (plus connu sous le nom de pont saint Bernard).
Il a laissé des traces durables en France, mais aussi au Portugal, en Espagne, en Roumanie, en Hongrie, en Egypte.
Saint-Louis du Sénégal. Le pont Faidherbe
Charles Léon Stefen Sauvestre (1847-1919)
Né d’un père instituteur, il devient élève de la première promotion de l’Ecole spéciale d’Architecture. Il en sort diplômé en 1868 à 21 ans.
L’année suivante, il obtient une médaille au Salon des Beaux-arts pour un grand relevé fait avec son confrère M. Gantier, sur les merveilles du Mont Saint-Michel. Il est nommé inspecteur pour la reconstruction du théâtre de Brest. Il dirige le cabinet d’architecture des projets de la maison Eiffel où il étudie notamment la gare de Budapest.
Pour l’Exposition Universelle de 1878 à Paris, il réalise le pavillon de la Compagnie des Gaz. Par la suite, il réalise villas et hôtels particuliers dans les quartiers de Monceau et de Passy. Il réalise également en 1884, la maison du chocolatier Albert Menier à Neuilly.
En 1884, il participe à la conception architecturale de la Tour Eiffel. Sollicité pour donner un aspect esthétique au projet des ingénieurs Koechlin et Nouguier, il prévoit des arcs décoratifs monumentaux reliant les quatre montants au 1ier étage ainsi que la décoration très ouvragée de ce même 1er étage.
Il gagne avec Eiffel l’une des trois primes du projet pour l’aménagement d’ensemble de l’Exposition Universelle de 1889. En outre, pour cette exposition, on lui confie la construction du Palais central des Colonies, sur l’esplanade des Invalides.
Imaginatif et inventif, il invente ce qu’il faut de fantaisie pour réussir ce qui va convenir aux attentes des clients.
Stefen Sauvestre est à l’extrême gauche sur ce cliché.
Au centre, Gustave Eiffel.
Si l’Histoire était respectée la fameuse tour s’appellerait :
LA TOUR KOECHLIN-NOUGUIER