Touria Chaoui est née le 14 décembre 1936, à Fez, dans une famille bourgeoise. Son père, Abdelwahad Chaoui, journaliste de langue française au « Courrier du Maroc » a également la passion du théâtre. Il souhaite pour sa fille une éducation moderne et lui fait découvrir le monde du théâtre et du cinéma. En plus d’être journaliste, Abdelwahad est acteur et metteur en scène. À douze ans, Touria joue à ses côtés un petit rôle (Maria Casarès enfant) dans le film du cinéaste français André Swoboda, La septième porte, où Abdelwahad Chaoui donne la réplique à Georges Maréchal et Maria Casarès.
En 1946, Touria obtient son certificat d’études primaires dans un pays où la scolarisation des filles n’est pas une priorité. Elles sont à peine une centaine à avoir obtenu le fameux « certif » cette année-là. Ensuite, Touria prend des cours de sténographie arabe et poursuit ses études jusqu’à l’obtention du brevet.
Désormais, la famille vit à Casablanca. Touria est engagée comme secrétaire à l’Agence marocaine d’information et de publicité. Elle a un rêve secret depuis bien longtemps, elle veut piloter un avion.
En 1949, l’agence organise un concours littéraire à l’occasion de la Fête du Trône. Touria demande à son père l’autorisation d’y participer. Elle lui demande aussi une faveur, celle de l’inscrire à l’école de pilotage des Ailes Chérifiennes de Tit Mellil, si elle est primée au concours.
AÉRODROME DE TIT MELLIL
Touria va gagner son pari et son père respecter sa parole donnée. Ils se présentent à l’école de pilotage pour l’inscription en principe réservée à l’élite européenne. Ils vont braver le mépris et les railleries du directeur de l’école, un certain Martin. Ce dernier déclare devant une assistance hilare : « Ouvrez grand vos oreilles, vous voyez cette petite « Fatma », elle prétend prendre des cours de pilotage ! ».
L’insistance du père et la ténacité de Touria feront qu’elle sera acceptée à suivre des cours. À la fin de sa préparation, Touria passe son examen de vol avec succès. Le directeur, malgré sa mauvaise foi, ne pourra faire autrement que de délivrer le brevet de capacité, puis la licence de pilote. Touria devient en 1952, la première femme aviatrice du Maroc et des pays arabes. La plus jeune également car elle n’a que 16 ans. Du jour au lendemain, elle devient une célébrité sur le plan national mais aussi international, elle croule sous les messages de félicitations.
TOURIA AVEC S.A. LE SULTAN MOHAMED V
Elle devient une héroïne nationale, une figure de proue pour l’émancipation de la femme marocaine. Mais le vent de libération apporté par Touria, son exemple de femme qui s’affranchit, dérange les conservateurs marocains. Les membres de sa famille sont visés et échappent de peu à la mort. Prévenus par l’épicier de leur quartier, ils quittent leur villa de la rue Bonaparte pour se réfugier dans un hôtel voisin. À 4 heures du matin, leur villa explose.
Au retour d’exil du sultan Mohamed V en novembre 1955, la jeune aviatrice aux commandes de son avion, survole le cortège royal et lâche sur la foule des tracts de bienvenue à la gloire du sultan. Elle exécute des loopings et des figures acrobatiques qui ravissent le public.
L’aube de l’indépendance est loin d’être idyllique, des querelles entre partis politiques, des règlements de compte entre divers acteurs d’une société en pleine mutation, des vendettas ou pour la course au pouvoir, font rage. Des alliances se font et se défont, les compromis, les vengeances et les meurtres deviennent monnaie courante.
Casablanca, 32 rue Bergerac. Nous sommes le 1er mars 1956, demain sera proclamée officiellement l’indépendance du Maroc. Il est 18 h 20.
Touria Chaoui, au volant de sa voiture, revient de l’Institution Lalla Amina, une institution qui œuvre à la formation des jeunes filles. À ses côtés, son jeune frère de 11 ans, Salah Eddine. Touria se gare en bas de l’immeuble, klaxonne et passe la tête par la portière pour parler à sa mère qui est au balcon. Un homme surgit et se rue sur la voiture, un pistolet à la main. Il tire à bout portant sur Touria et disparaît. Touchée à la tête, la jeune fille meurt sous les yeux de son frère et de sa mère. La vie de Touria Chaoui, première aviatrice du Maroc et du monde arabe est foudroyée à l’âge de 20 ans.
Un meurtre jamais élucidé.
Une figure sombre que son frère décrit dans son livre : « Ma sœur Touria, première aviatrice du monde arabe ». Il se souvient « d’un homme au profil hispanique, cheveux gominé, tenant une arme à la main… ». Son frère, Salah Eddine Chaoui, artiste peintre est aujourd’hui installé en France, à Vichy.
Une figure sombre, Ahmed Touil, que certains soupçonnent d’être l’auteur de cet assassinat, est avancée. Militant caméléon, convoyeur d’armes, homme de main de l’ombre, il a exécuté plusieurs de ses anciens compagnons de résistance. On sait que Touria posait problème aux conservateurs marocains, à quelques membres de Présence française et d’autres opposants au Maroc nouveau.
Ce que l’on sait, c’est que, quelques temps après, Ahmeh Touil sera éliminé à son tour.
Héroïne intrépide, libre, émancipée, Touria Chaoui, incarnait l’avenir de la femme marocaine du 20ème siècle. Elle était à l’avant-garde de l’ère moderne de son pays et un modèle pour la jeunesse.
FUNÉRAILLES DE TOURIA CHAOUI