VEDI NAPOLI E POI MUORI

Jacky - Napoli 1Dix ans… Dix ans déjà qu’ils étaient mariés. Jacqueline et Jean-Marie se rappelaient encore de leur voyage de noces à Venise, mais n’en parlaient jamais. C’était un souvenir mélangé de beauté, d’un voyage agréable, et d’une mésaventure nocturne.

Dix ans ont passé, et deux enfants sont arrivés au sein du jeune ménage ; Antoine, huit ans, l’aîné de deux ans de la petite Sophie ; un garçon, une fille, le choix du roi. Le couple vivait heureux de leur sort, toujours amoureux l’un de l’autre et dans la routine des gens qui travaillent en usine.

Jean-Marie n’osait pas aborder cette idée de voyage qu’il avait en tête, la crainte sans doute de faire resurgir un vieux souvenir pénible. Pourtant, avec les chèques vacances du Comité d’entreprise qu’ils avaient économisés, ils pouvaient faire un beau voyage. Dans l’esprit de Jean-Marie, un second voyage en Italie pour exorciser ce vieux souvenir, serait certainement la solution. Secrètement, il avait consulté des prospectus de voyages et Naples avait trouvé sa préférence. Sur les différents dépliants, il avait recensé dans cette ville, trente-six Musées, neuf grandes bibliothèques, cinq universités, deux stades de foot et une trattoria qui vantait ses cinq cents recettes de pizzas… Puis, il y avait aussi Pompéi et la fameuse île de Capri. L’aéroport de Naples-Capodichino semblait bien desservi, et les tarifs aériens abordables. Atout majeur pour ce jeune couple peu fortuné. Maintenant il fallait convaincre Jacqueline.

Nous étions au mois de mai, quelques frimas persistaient encore, mais les beaux jours s’annonçaient. Organisation, réservation, la garde des enfants…Il fallait bien penser la chose et ne rien oublier. Pour le week-end de Pentecôte, un week-end prolongé, Jean-Marie allait mettre à profit ces trois jours pour « travailler au corps » sa Jacqueline. Il arriverait bien à la rallier à son idée. Ce fut chose faite. A la grande surprise du jeune époux, elle semblait ravie de faire ce voyage dans le sud de l’Italie et voir enfin Capri, île merveilleuse chantée par un de ses chanteurs préféré, Hervé Vilard… « Capri, c’est fini, et dire que c’était la ville de mon premier amour… ». Jean-Marie se trouva un peu bête devant l’emballement inattendu de son épouse ; à aucun moment un souvenir passé ne resurgit et, heureux de ce résultat inattendu, ils s’embrassèrent comme au premier jour de leur idylle.

Comme chaque année, l’usine fermait la première quinzaine de juillet. La direction profitait de l’absence syndicale de ses employés pour les congés payés, pour l’entretien et le contrôle technique de la machinerie de l’entreprise.

  • Jacqueline ! Où est ma chemise bleue tahitienne ?
  • Je l’ai cachée…Je ne veux pas que tu sois ridicule dans les rues de Naples.
  • …Bon …Je l’aime bien ma chemise tahitienne.
  • Jacqueline ! Où sont mes cravates ?
  • Tu ne va pas m’appeler à chaque fois que tu cherches une chaussette…Tout est sur le lit. Va chercher les valises au garage au lieu de m’embêter.

L’excitation des « touristes » est à son comble. Cela faisait si longtemps qu’ils n’avaient pas fait un long voyage. Les valises avaient pris un peu de poussière dans le garage…depuis le temps. Jean-Marie se mit en devoir de nettoyer l’œuvre du temps avec le tuyau d’arrosage du jardin.

  • Jean-Marie ! Ce n’est pas la peine de mettre de l’eau dans les valises ; il y a certainement des robinets d’eau potable à Naples.

Les moqueries de Jacqueline étaient toujours aussi tranchantes, signe de vitalité mentale et de bonne santé. Jean-Marie tentait bien de répondre sur le même registre. Mais…

  • Sans doute, sans doute. Mais je ne sais pas si elle est potable.
  • Ha ! Ha ! Ha ! (rire forcé) Elle est bien bonne ton histoire d’eau. Tu boiras du chianti, ça te mettra du piquant dans le verre.

Dans quatre jours, le départ. Comme pour Venise, ils décolleront de Frankfurt-Hahn, en Allemagne. Vol direct, prix raisonnable, parking assuré pour la voiture, pas de soucis particuliers. Les enfants seront très bien chez les grands parents maternels. Jean-Marie avait perdu sa mère deux ans auparavant ; un vilain cancer, ce mal du siècle qui arrache à la vie à tout âge. Le père, seul désormais, vivait reclus dans sa maisonnette de la Cité des Faïenceries.

  • Les passagers du vol U 3890 à destination de Naples…
  • C’est pour nous…Les billets d’embarquement…Jacqueline…Tu as les billets ?
  • Calme-toi ! Nos bagages sont enregistrés, donc, l’avion ne partira pas sans nous.
  • Oui mais…
  • Stop ! Ne dis plus rien. D’ailleurs, attends-moi là, je vais faire un tour aux toilettes avant de m’envoyer en l’air.

Jean-Marie venait de virer au vert pâle de rage. Il voyait tous les passagers se diriger vers la salle d’embarquement et il était là, avec ses bagages à main, seul au milieu de la place d’arme désertée par les passagers. Enfin ! Voilà Jacqueline.

  • Nous allons être en queue de l’avion…
  • Et alors ! L’ensemble de l’avion arrivera à Naples d’une seule pièce.

L’avion entame sa descente vers Naples, Napoli en italien et Napule en napolitain. C’est un moment que Jean-Marie déteste. La dépressurisation progressive de l’habitacle lui donne l’impression que sa tête se remplit d’une tonne de plomb et que ses oreilles servent de réceptacle à tous les bagages de la soute. Sensation franchement désagréable.

Ouf ! Jacqueline avait raison ; l’avant et l’arrière de l’aéronef se sont posés en même temps sur la piste.

  • C’est fou ce que tu peux être anxieux, mon pauvre mari…
  • Tu n’es pas très gentille avec moi, c’est pour toi que j’ai peur…
  • Menteur !

Les passagers s’activaient malgré l’annonce faite par l’hôtesse de rester assis jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil. Le brouhaha couvrait désormais les annonces commerciales du commandant de bord et de l’hôtesse. Les passagers firent claquer les ceintures de sécurité, ouvraient et refermaient violemment les compartiments bagages, les chants des téléphones portables se mirent en route, à chacun sa mélodie, à qui le Big Ben, à qui le brame du cerf en rut.

Descente de l’avion…Les voici devant le tapis roulant pour récupérer les bagages. En voici une…Puis la seconde…Tout va bien, ils sont sur le plancher des vaches et ils ont récupérer leurs affaires. Maintenant direction la navette pour rejoindre la ville. L’hôtel est situé Corso Garibaldi.

Naples. Camorra, pauvreté et chaos, c’est une ville insoumise à la mauvaise réputation. Et pourtant, c’est l’une des plus belles villes de la Méditerranée. Depuis la colline du Pausillippe, la vue sur le golfe de Naples et le Vésuve a attiré, depuis des générations, de nombreux voyageurs. Touristes et voyageurs de passage viennent admirer le coupable de la prochaine catastrophe naturelle, car le Vésuve n’est pas mort…Un jour…

Le verbe haut et la gesticulation théâtrale des Napolitains, est une marque de fabrique, ceci avec un goût très prononcé pour la superstition. Autre anachronisme, le cœur historique, autour de Spaccanapoli, avec l’image mondialement connue du linge étendu aux fenêtres des immeubles populaires et délabrés, qui côtoient, dans les mêmes rues, des églises et des palais d’une splendeur extraordinaire. C’est dans cette ville que le couple va vivre durant une semaine entière, une seconde lune de miel.

Enfin l’hôtel.

  • Benvenuti a Napoli. Benvenuti a casa !
  • Bonjour ! Nous avons une réservation au nom de Meyer…
  • Si…Si…Si…Vous avez la chambre 57 dit l’homme de l’accueil avec un petit accent plein de soleil.
  • Tiens ! dit Jean-Marie…57, comme le numéro de notre département de la Moselle.

Heureux de se retrouver enfin dans leur chambre d’hôtel pour un repos bien mérité après le stress du voyage. Le repos sera de courte durée, mais le corps rappelle qu’il est l’heure de dîner. L’hôtel ne servant que le petit déjeuner, une première sortie dans la ville s’impose.

  • Pardon monsieur ! Un conseil pour un restaurant…Pas trop loin de l’hôtel si possible.

L’homme proposa un plan de ville touristique et quelques cartes de restaurants, puis…

  • en sortant de l’hôtel, vous remontez la grande avenue et vous aurez, dans les ruelles de gauche comme de droite, tout ce que vous désirez.
  • Merci beaucoup !
  • Bonne soirée madame, bonne soirée monsieur. Buon appétito !

Le jour tombait sur la ville. Les lampadaires se mirent à briller de cette lumière jaunâtre qui imprimait la même couleur sur toutes les façades des demeures de l’avenue. La circulation du boulevard était importante et les phares des véhicules défilaient comme des milliers de lucioles affolées par le bruit des chevaux-vapeur. Jacqueline et Jean-Marie déambulaient dans cette avenue et leurs ombres jouaient sur les murs. Tantôt les phares de voitures, tantôt le rai de lumière des lampadaires, imprimaient subrepticement leurs silhouettes sur le mur d’un immeuble, silhouettes mouvantes et brèves qui s’étiraient avant de disparaître.

Un air de mandoline attira leur attention.

  • Tu entends…ça me semble bien sympathique, dit Jacqueline.
  • Allons-y ! Répond Jean-Marie.

C’était une de ces nombreuses pizzérias qui, comme le miel pour attirer les mouches, mettent de la musique très locale pour attirer le touriste affamé.

Après avoir remonté le grand boulevard Umberto, ils arrivèrent enfin à la hauteur de la petite rue qui menait vers la mondialement connue, pizzeria « da Michele ». Quelques personnes sur le trottoir, devant l’établissement, se prenaient en photo avec la plaque de la pizzeria. Les flashs crépitaient, L’antica pizzeria « da Michele » Maestri pizzaioli dal 1870. Unica sede. La plaque de métal doré renvoyait la lumière à chaque photo, comme si la pizzeria prenait elle aussi un cliché de ses clients.

  • Je crois que nous ne sommes pas seul à avoir faim…dit Jean-Marie
  • Ce n’est pas grave…nous sommes en vacance.

Des rires, des odeurs de pâte à pain, de fromage chaud, de légumes et un décor on ne peut plus simple. L’espace accueil est si près du four qu’il serait faux de dire que vous êtes reçus froidement. Et c’est là le truc, il fallait prendre un ticket numéroté et attendre dehors qu’une place se libère. Heureusement, ce soir-là, peu de monde ; une petite demie heure de patience et l’espoir de remplir l’estomac sous peu.

  • Quarantadue…Quarantadue.
  • C’est à nous. Viens vite avant qu’il ne change d’avis.
  • Mais qu’es-ce qu’il dit ? …Il y a un blessé ?
  • Arrête Jean-Marie, quarante-deux, c’est notre numéro.
  • Ah ! Tu parles italien maintenant ?

Table dessus marbre, serviette en papier avec un couvert, non argenté du supermarché, roulé dedans, et un gobelet en véritable plastique. On ne peut plus simple. La commande…Vite, il y a des gens qui attendent dehors.

  • Ce sera deux margheritas, per favore.
  • Décidemment, tu connais la langue…T’as eu un amant Italien ?
  • Plusieurs, mon cher mari. Comment veux-tu apprendre une langue en cinq minutes…
  • Ah !!!…

Si le décor était de la plus simple expression, les pizzas, elles, étaient parfaites. La pâte très fine, laissait une priorité aux parfums des légumes et du fromage. Une douceur pour le palais. Jean-Marie ne disait mot. Sa jeune femme l’observait avec beaucoup de tendresse dans le regard. Un petit moment de bonheur pour trente euros à peine, vin italien compris.

Le repas terminé, nos deux tourtereaux, ventre plein, s’en retournèrent vers leur hôtel. Heureux de cette première découverte, heureux…d’être heureux, tout simplement. La vie nous offre parfois ces petits morceaux de bonheur, même si ce n’est qu’un morceau de pizza. Bras dessus, bras dessous, ils entrèrent dans le hall de l’hôtel.

  • 57 ! Cria Jean-Marie en direction de l’accueil. Père faveur. Tu vois, moi aussi je parle italien.
  • Pardonnez-lui, monsieur…Il est seulement heureux.
  • Buona notte ! Répondit le gardien de nuit, avec un grand sourire.

Une journée de voyage, une soirée au restaurant, une nuit dans un hôtel à Naples, le monde va si vite. Mais la nuit ne fait que commencer. Les regards se croisent, complices. De petits rires nerveux secouent leurs corps à chaque fois qu’ils se croisent entre la chambre et la salle de bain. La fenêtre était légèrement entr’ouverte, un léger souffle d’air pénétrait dans la pièce en même temps que le bruit étouffé de la rue. Jean-Marie se demandait si dans la recette de la pizza, il n’y avait pas un aphrodisiaque diabolique…vu son état. Un deuxième volcan à Naples…sympathique celui-là.

Le soleil avait déjà grimpé quelques marches du firmament. Une douce chaleur pénétrait dans la chambre. Dehors, les bruits de la vie de tous les jours grognaient allègrement. Un petit déjeuner serait le bienvenu, histoire de mettre l’organisme en route.

En passant devant le grand comptoir de l’accueil, Jacqueline prit quelques dépliants d’informations touristiques, avant de s’installer pour le petit-déjeuner. Petit-déjeuner copieux et continental avec des viennoiseries de formes diverses. Peu de gens connaissent l’origine du croissant et des viennoiseries. Inventé en 1683, après le siège de Vienne, en Autriche, par les Turcs, un certain Kolschitsky avait demandé à un ami boulanger-pâtissier, de lui confectionner un gâteau en forme de croissant, comme sur les drapeaux turcs. Ainsi, chaque matin au petit-déjeuner, les Viennois dévoraient le croissant turc en souvenir de ce siège. Ces gâteaux sont devenus les fameuses viennoiseries.

  • Je crois que nous allons commencer notre visite par le vieux quartier Spacca Napoli.
  • Je suis à tes ordres, mon capitaine, répond Jean-Marie, en mimant un garde-à-vous.
  • Il faut bien commencer par quelque chose. Je te propose un jour de marche, un jour de bateau pour voir Capri, un jour de car pour aller à Pompéi…
  • Tu as raison, il faut ménager mes vieux os.

Les bus se prenaient juste en face de l’hôtel, sur la place Garibaldi. L’autocar les propulsa vers le centre historique de Naples ; un trajet assez court, et ils arrivèrent frais et dispos pour une journée de promenade.

Le début de cette journée commença par l’église sainte Claire, le « Complesso de Santa Chiara » datant du XIV° siècle, avec un monastère, un cloître et une église de style baroque reconstruite après les bombardements d’août 1943. Le cloître est extraordinaire avec ses nombreuses colonnes et ses bancs en majolique, cette faïence italienne de la Renaissance, bleue, verte et jaune qui datait de 1750. Venant d’un pays de faïenciers, Jacqueline et Jean-Marie y étaient d’autant plus sensibles. Partout des fresques décorent les murs. Puis, ils entrèrent dans un bâtiment où se trouvait une immense crèche encastrée dans un pan de mur. Ils arrivèrent ensuite sur une place où un obélisque se dressait, surmonté par la statue de saint Dominique. C’est fantastique tout ce qu’il y avait à voir, un ravissement pour les yeux et des souvenirs plein la tête.

Dans les petites rues aux alentours, c’était effectivement comme la carte postale annoncée. De vieux immeubles côtoyaient des chefs d’œuvres d’architectures et notre couple de touristes se demandait si le linge suspendu aux fenêtres était réellement une nécessité ou un art entretenu et touristique. Il y en avait vraiment beaucoup. De plus, les femmes se parlaient avec une voix forte d’une maison à l’autre. Comme un chant, le dialogue devenait plus intense lors du passage de touristes ; à croire que ce folklore-là était entretenu lui aussi. Les pérégrinations du couple les amenèrent vers une placette ronde où, sous des arcades et à l’ombre, des restaurants, des pizzérias, des cafés attendaient les clients pour le « coup de feu » de midi. Car, mine de rien, le temps était passé si vite, il y avait tellement de choses à voir que ni Jean-Marie, ni Jacqueline ne s’étaient rendu compte de l’heure.

  • Dommage, je ne peux pas enregistrer ces vocalises, dit Jacqueline, ça ne se verra pas sur les photos.
  • Ce n’est pas grave…Quand tu montreras les photos, t’as qu’à chanter en même temps.
  • Ah ! Ah ! T’en as beaucoup des comme ça ?

Il était près de quinze heures. Ils avaient pris un repas très léger pour ne pas se charger trop l’estomac et pouvoir terminer leur périple de la journée. En déambulant tranquillement dans les rues, ils retournèrent vers l’hôtel, un peu fatigué, mais ravi de toutes ces découvertes.

  • Et maintenant…Douche, repos jusqu’à la fraîche ce soir, dit Jean-Marie.
  • Tu as bien raison mon bonhomme adoré. Tu as meilleur mine après une douche…quand tout le bronzage a disparu avec l’eau.
  • Ben ! Non mais…Je rêve…

Il devait être vingt heures lorsque les deux tourtereaux se mirent en route à la recherche d’un restaurant. La jeune épouse avait proposé de descendre vers le port, histoire de voir un autre quartier. C’est à croire que tous les Napolitains possèdent une pizzeria, il y en avait partout, même parfois à l’étage au-dessus d’un magasin de chaussures.

  • Tiens ! Celui-ci propose des salades, ça te tente mon ange adoré, c’est pour la ligne ma madone napolitaine…
  • Arrête Jean-Marie ! Un peu de sérieux tout de même.
  • Ce n’est pas vrai !…Un Mac Do. ! Si ça se trouve, il y a un rodéo sur le port se soir. Cherche mon ange…cherche…Snif…Snif…
  • T’es bête…

En fait, il y en a tellement qu’il était difficile de faire un choix, mais enfin en voici un de restaurant qui semblait convenir au jeune couple. Se sera une soirée pâtes. Au cours du repas, le plan d’action du lendemain fut mis au point. Ce sera Capri.

  • Il faudra partir tôt, si possible le premier ferrie pour avoir le temps de visiter la fameuse grotte.
  • Ok ! Nous prendrons le petit déj’ sur le bateau. A l’hôtel pas de jus avant 08 heures.

Pour les liaisons rapides vers Capri, il faut rejoindre le Môle Beverello. Une heure de voyage sur le « traghetto », le moyen de transport le plus populaire pour visiter les îles. Ambiance très joyeuse sur le ferrie, des habitués, sans doute quelques employés pour la saison, plaisantaient bruyamment tandis que les touristes, pour amortir le prix de la traversée, prenaient des photos pour immortaliser l’instant merveilleux qu’ils étaient en train de vivre. Il faut l’avouer, le spectacle de la mer turquoise, des îles au loin, du Vésuve et de Naples qui s’éloignait est un ravissement pour les yeux.

  • Tu vois Jean-Marie, les idées reçues sur Capri. Le nom de l’île ne vient pas du latin capreae qui veut dire chèvre en latin, mais du grec ancien, kapros, qui veut dire sangliers.
  • C’est sans doute pour cela que les prix sont si élevés ; les Grecs ont de sacré problèmes.
  • Jean-Marie ! Un peu de culture…Quand même…
  • Moi ! Tu sais bien, ma culture est à faible rendement.

Dès l’arrivée à la Marina Grande de Capri, la foule se précipita vers le centre du village. La place Umberto I dite La Piazzetta. C’est une minuscule placette, où, à l’heure de l’apéritif, la moitié du tout Capri venait s’assoir en terrasse pour voir défiler l’autre moitié qui déambulait dans les ruelles blanches et étroites de la petite ville.

Grâce au plan de Jacqueline et aux conseils du réceptionniste de l’hôtel, si l’on voulait être au calme, il suffisait de s’écarter du centre et partir sans guide sur les sentiers de l’île. Effectivement, dès la sortie du village, Jacqueline et Jean-Marie se retrouvèrent dans les Jardins d’Auguste, très beau jardin avec une vue magnifique sur la pointe Tragara. Un peu plus loin, un édifice religieux du XIV° siècle, Certosa di San Giacomo. Puis, le long d’un chemin bordé de murettes et de villas, une promenade agréable qui menait à un endroit magique ; l’Arco naturale. Suspendu au-dessus de la mer aux teintes turquoises, un rocher creusé qui formait une arche gigantesque. Quel spectacle !

En revenant sur leurs pas, la promenade se poursuivit jusqu’à la Villa Jovis, où, d’après le « guide vert » de Jacqueline, l’empereur Tibère avait séjourné les dix dernières années de sa vie. La visite se poursuivit ensuite jusqu’ au Belvédère Cannone par un chemin sécurisé en aplomb au-dessus de la mer. Le panorama était magnifique.

  • Nous allons tranquillement retourner vers Capri et le port, il faut trouver un restaurant pour midi.
  • Nous avons tout notre temps ; la visite de la fameuse grotte, c’est en fin d’après-midi, juste avant d’embarquer pour le retour sur Naples.
  • Franchement ! C’est tout simplement beau, fait remarquer Jacqueline dont les yeux brillaient de bonheur.

Par crainte de ne pas tout voir, le début de la visite de l’île c’était fait au pas de charge. Maintenant, nos deux touristes se rendaient compte qu’ils avaient tout le temps pour savourer ces moments exceptionnels. Le retour vers Capri se fit donc main dans la main, le guide touristique dans le sac et sans un mot. Chacun appréciait l’instant présent et gravait mentalement ce souvenir extraordinaire au fond de sa mémoire.

Le premier restaurant fut le bon.

  • C’est quoi ça…limoncello ?
  • Jean-Marie…ne commence pas par le digestif…choisis un plat. Tiens cette salade à la mozzarelle par exemple.
  • Je veux bien encore manger une de tes salades, mais je prendrai un dessert. Na ! Celui-là avec les pêches au vin, la cannelle, la vanille…
  • Tu es un ogre glouton. Bientôt il te faudra un chausse-pied d’un mètre pour mettre tes charentaises.
  • Jacqueline…Tu ne m’aimes plus…

Repas tranquille, sans se presser. Le calme, le soleil, le temps semblait ralentir. C’est un autre monde. On comprend mieux pourquoi Grecs et Romains avaient déjà jeté leur dévolu sur cet endroit merveilleux.

Pendant que Jacqueline sirotait son limoncello, Jean-Marie succombait à une sieste, bien qu’inconfortablement installé sur une chaise plastique de salon de jardin.

  • Jean-Marie ! Réveil ! C’est le moment pour rejoindre le bateau.
  • Ah oui !…le pédalo…

Jean-Marie émergeait tout doucement de sa torpeur.

La fameuse grotte n’était accessible que par bateau, évidemment. Un bateau à moteur jusque sur le site, puis une barque pour pénétrer dans la grotte. C’était assez folklorique, l’entrée de la grotte est très basse, il fallait donc s’allonger sur le dos au moment du passage. Mais une fois à l’intérieur…

Jacky - Napoli 2Le spectacle était grandiose. Subitement, la résonance devenait différente. La lumière, en pénétrant dans la grotte, donnait à l’eau un magnifique coloris bleu azuré. Les barques, parfois nombreuses, provoquaient de petits embouteillages. Les flashs crépitaient, des voix résonnaient en exprimant le ravissement de ce lieu magique. Ferrie, bateau à moteur puis barque, le coût est assez élevé pour quelques minutes de plaisir, mais qu’importe, quel beau spectacle.

Emporté par la beauté des lieux, le soleil, la mer, le calme…Ils ne se rendaient pas compte qu’ils suivaient le flot de touristes allant vers l’embarcadère pour le retour vers Naples. Le reste de la journée se passa comme dans un rêve ; ils étaient sur un nuage qui les transportait vers un avenir paradisiaque.

  • Jean-Marie ! Jean-Marie ! Allez…Debout, c’est l’heure.
  • Pas de brutalité…Parle-moi avec douceur…L’usine est fermée…
  • Oui ! Mais le conducteur du car pour Pompéi ne t’attendra pas.
  • Ah oui ! C’est vrai. Aujourd’hui nous allons rendre visite aux grands brûlés de Pompéi la Carbonara.
  • Un peu de respect pour ces pauvres gens qui ont souffert le martyr.

A peine quarante minutes de trajet. Pompéi se trouve au pied du volcan le Vésuve, à 25 km au sud-est de Naples. Comme à son habitude, Jacqueline était documentée et faisait ses commentaires que Jean-Marie écoutait patiemment et silencieusement. Pour ne pas dire plus.

  • Tu vois Jean-Marie, la terreur que ces pauvres gens ont éprouvé me donne la chair de poule…En 79 de notre ère, lors de l’éruption du Vésuve, la ville fut entièrement ensevelie sous une couche de cendres. La vie s’arrêta brusquement…Pompéi fut en quelque sorte pétrifiée. Elle est restée ainsi durant 1800 ans, avant que les fouilles ne commencent à mettre à jour et que l’on découvre les habitants surpris, figés dans leurs occupations quotidiennes.
  • …Terrible…

Au fur et à mesure qu’ils avançaient dans les ruelles de la ville engloutie, l’imaginaire faisait le reste.

Si Jacqueline était émue par ces corps pétrifiés, Jean-Marie admirait les fresques de la vie de Pompéi, de ses bains et de ses lupanars.

  • Avant d’être pétrifié, ils étaient plutôt remuants…lança Jean-Marie en regardant une de ces fresques.

Quelques touristes à proximité tournèrent la tête et lui lancèrent un regard lourd et sévère. L’humour de Jean-Marie ne faisait pas l’unanimité.

Après trois heures de visite, ils firent une pause. Leur esprit vagabondait dans les ruelles de Pompéi où tant de drames se sont déroulés. Même Jean-Marie ne plaisantait plus. Il attendait le car.

Durant le trajet retour, les passagers du car étaient restés silencieux. Un silence lourd. Chacun imaginant sans doute quelques scènes dramatiques où ces pauvres gens, les poumons brûlés par l’air chaud et les cendres qu’ils respiraient, mouraient dans d’atroces douleurs.Jacky - Napoli 3

Enfin, le car s’arrêta sur la grande place, non loin de l’hôtel. Toujours silencieux, ils regagnèrent leur hôtel en essayant de penser à autre chose.

  • Alors ! Que faisons-nous ce soir ? Dit Jean-Marie.
  • Je retournerai bien dans le quartier du port…
  • Tu sais que demain est le dernier jour de vacance. Après demain matin direction l’aéroport.
  • …Déjà ?
  • Ben oui. Petite journée de visite et puis faire les valises.

Le lendemain matin…

Après une longue délibération, le choix va se fixer sur la ville souterraine. La visite va commencer par l’amphithéâtre romain, coincé entre les petites ruelles de Spaccanapoli. Aujourd’hui souterrain, il était à l’époque des Romains, à l’air libre. L’empereur Néron aimait à s’y produire. Un vrai calvaire pour les Napolitains de l’époque qui endurer, comme un supplice, la médiocrité du talent d’acteur de Néron. Les pauvres gens devaient applaudir avec enthousiasme et il paraîtrait même qu’il payait son public pour le faire.

Jean-Marie arrive à saturation des visites touristiques. Il voulait faire plaisir à son épouse et surtout, passer l’éponge définitivement sur une aventure, désormais lointaine, lors d’une visite de la ville des Doges. Naples les a réconcilié avec l’Italie et les voyages. C’est donc un pari gagné et il en est ravi. Jacqueline est heureuse de ses découvertes et c’est l’essentiel.

Une dernière pizza…et le lendemain matin direction l’aéroport.

Dans l’avion qui retourne vers Frankfort, Jacqueline fait dérouler les photos de Naples, Capri et Pompéi. Ses yeux brillent…Jean-Marie est heureux.

                                                              FIN